LA RECHERCHE DE L'ABSOLU, SITUATIONS III, Jean-Paul Sartre Fiche de lecture
En janvier 1948 paraît simultanément à New York et à Paris La Recherche de l'absolu de Sartre (1905-1980). Cet essai a valeur de manifeste et illustre magistralement la position de l'écrivain-philosophe vis-à-vis des artistes. À New York, le texte de Sartre figure dans le catalogue de l'exposition organisée à la Pierre Matisse Gallery : Alberto Giacometti, Sculptures, Paintings, Drawings. À Paris, il est publié dans la revue Les Temps modernes, créée en 1945, repris sans variante dans Situations III en 1949.
L'intérêt de Sartre pour la création artistique s'était déjà manifesté par des articles publiés dans la prestigieuse revue Verve, mais à partir de l'immédiate après-guerre il se tourne vers la sculpture : les Mobiles de Calder et les sculptures de Giacometti. Comment Sartre connaissait-il les œuvres de Giacometti, qui avait refusé d'exposer à Paris entre 1935 et 1951 ? C'est d'abord à travers des conversations avec l'artiste lui-même, dans le cadre de la brasserie Lipp, que Sartre découvre, en 1941, le travail de Giacometti – des sculptures de petites dimensions en plâtre – qu'il n'a encore jamais vu directement à cette date. Sartre est alors occupé à la rédaction de l'Être et le Néant. Ils partagent immédiatement des affinités de pensée sur de nombreux sujets : la quête des origines, l'importance du corps – « ancrage dans le monde » de l'être humain –, ou encore la dimension « indécomposable et indivisible » du visage. Ces préoccupations communes expliquent pourquoi Sartre n'hésite pas à enrôler Giacometti dans la sphère existentialiste grâce à ce texte.
Le mythe des origines et le surgissement de la figure
On peut proposer plusieurs lectures du texte sartrien. La mise en scène du personnage physique de Giacometti en est une. Le ton est donné dès la première phrase par l'apparition d'un « visage antédiluvien » qui se situe « au commencement du monde ». Avant même de parler des œuvres de Giacometti, Sartre amène son lecteur à regarder le visage du sculpteur comme une œuvre d'art échappant à toute influence culturelle : un homme qui « se moque de la Culture et ne croit pas au progrès ». L'auteur déploie une rhétorique du mythe des origines, condamne la sculpture « depuis trois mille ans », et martèle les noms de personnages mythiques ou réels : l'homme des Eyzies, l'homme d'Altamira, Diogène, Parménide, Zénon, Ganymède, Jupiter, Praxitèle, la Vierge. Cette mise en perspective historique révèle l'étendue des connaissances artistiques du philosophe qui n'hésite pas à s'en servir pour convaincre le lecteur de la nouveauté radicale qu'introduit Giacometti dans la sculpture. Fin des temps et érudition savante constituent donc la toile de fond sur laquelle surgit la figure du sculpteur : « une longue silhouette indistincte qui marche à l'horizon ».
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Écrit par
- Marianne JAKOBI : chercheur au C.N.R.S., centre André-Chastel
Classification
Média
Autres références
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L'HOMME QUI MARCHE. UNE ICÔNE DE L'ART DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Paul-Louis RINUY
- 942 mots
...la rue ou de la place – La Place (1948), Homme qui marche sous la pluie (1948), Homme traversant une place (1949). Ces figures en situation inspirent à Sartre l’essai de 1948, La Recherche de l’absolu : « il faut qu’il [le sculpteur] inscrive le mouvement dans l’immobilité totale », écrit le philosophe,...