Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LA RÉGENTE, Clarín Fiche de lecture

Une satire féroce du conformisme

Don Fermín De Pas, dans l'ambition démesurée qui le possède, semble vouloir, à son insu, venger la rancœur tenace qui rongeait autrefois sa mère, modeste tenancière d'auberge. La chasteté, que lui impose son état, n'a fait que refouler et exacerber sa sensualité qui va se déchaîner de façon terrifiante : « Oui, il était comme un eunuque amoureux, un objet de risée, une chose répugnante tant elle était ridicule... Sa femme, la Régente, qui était sa femme, sa femme légitime, non devant Dieu ni devant les hommes, mais devant eux deux, à ses yeux surtout, face à son amour, à sa volonté de fer, à toutes les tendresses de son cœur, la Régente, sa sœur spirituelle, sa femme, son épouse, son humble épouse... l'avait trompé. »

Don Víctor Quintana, l'époux offensé, est à la fois pathétique et dérisoire dans son attachement aux valeurs d'autrefois, illustrées à ses yeux par le théâtre de Calderón, et dans lesquelles il s'est à jamais figé. Quant à Don Álvaro Mesía, petit notable du lieu, s'il a déjà pris des rides, il ne comprend pas, dans sa vanité fate et naïve, qu'une dame puisse refuser ses avances. Tel est le trio masculin de La Régente.

La ville, qui fait l'objet de longues et minutieuses descriptions, est à la fois le lieu et un protagoniste de l'action par le rôle essentiel qu'elle joue dans le déroulement des événements. Vetusta, au nom symbolique, désigne Oviedo, capitale provinciale, que Clarín connaissait admirablement. Il en dépeint les quartiers, les hôtels bourgeois ou les maisons populaires, le théâtre, le casino, avec une extrême précision. La cathédrale se dresse au milieu du décor comme la citadelle de l'empire clérical. Les modes de vie et les mentalités de la bourgeoisie, ou de l'aristocratie bien pensante, spontanément hostile à toute remise en cause de l'ordre établi, sont analysées avec une lucidité impitoyable. Le monde du clergé, les valeurs sclérosées qu'il propage en toute bonne foi, le pouvoir qu'il exerce sur les esprits, tout cela est décrit avec une ironie mordante. Satire acerbe d'une société provinciale, hypocrite, La Régente provoqua, lors de sa publication de violentes réactions de rejet, notamment de la part du clergé.

La critique est aujourd'hui unanime pour signaler l'originalité et la nouveauté de la technique narrative, notamment le traitement des personnages, la diversité des points de vue, l'emploi des « retours en arrière » ou des monologues intérieurs. On est aussi frappé par l'acuité de l'analyse psychologique et par la qualité de l'écriture. Considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de la fiction espagnole, La Régente prend place au rang des grands romans ayant pour thème l'adultère, tels que Madame Bovary (1857) de Flaubert, Anna Karénine (1873-1877) de Tolstoï, ou Le Cousin Basilio (1878 ) de Eça de Queirós.

— Bernard SESÉ

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española

Classification

Autres références

  • CLARÍN ou LEOPOLDO GARCÍA ALAS Y UREÑA (1852-1901)

    • Écrit par et
    • 1 711 mots
    Si Clarín est surtout l'auteur d'une œuvre critique abondante, c'est un roman, La Regenta (La Régente, 1885), le seul « classique » que lui doive la littérature espagnole, qui lui a valu de passer pendant une longue période pour un anticlérical forcené. De fait, dans cette étude puissante...