LA REINE MORTE, Henry de Montherlant Fiche de lecture
Une parole théâtrale en quête d'absolu
Le littéraire en vient ici à déborder le théâtral, dans une volonté manifeste de sublimer le contenu psychologique par une parole poétique chargée d'images et de solennité. Il en va ainsi de la tonalité crépusculaire des discours de Ferrante, atteint en sa vieillesse par la vanité du pouvoir, et décidant de donner la mort alors même que ses mots trahissent l'arbitraire de toute action et de toute décision. Le mouvement dramatique est alors moins à chercher dans les conflits qui opposent les êtres entre eux que dans les retournements qui s'opèrent au sein même d'une conscience subjective. Les arrêts de celui qui détient le pouvoir ne souffrent ni contestation ni discussion, à tel point que le conflit entre personnages donne finalement lieu à une dramatisation intérieure. Écoutons Ferrante : « Rien n'est trop sûr quand il s'agit de tuer. Ramenez le corps dans l'oratoire du palais. Il faudra que je le voie moi-même. Quelqu'un n'est vraiment mort que quand on l'a vu mort de ses yeux, et qu'on l'a tâté. Hélas, je connais tout cela. (Exit le capitaine.) Il serait encore temps que je donne un contrordre. Mais le pourrais-je ? Quel baîllon invisible m'empêche de pousser le cri qui la sauverait ? (Il va regarder à la fenêtre.) Il fera beau demain : le ciel est plein d'étoiles... – Il serait temps encore. – Encore maintenant. Des multitudes d'actes, pendant des années, naissent d'un seul acte, d'un seul instant. Pourquoi ? »
Au demeurant, la quête d'absolu dont fait état La Reine morte aussi bien sur le plan thématique que sur le plan formel, à travers la composition dépouillée et presque privée d'événement des deux premiers actes, rejaillit sur sa nature même de texte théâtral. On imagine mal une telle œuvre se plier à la relecture, à la critique, et délivrer des significations insoupçonnées à l'épreuve de la scène. Montherlant lui-même affirmait à ce sujet, une douzaine d'année après sa création : « Voir n'est pas lire, et seul le volume compte. »
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
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