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LA ROSE DE PERSONNE, Paul Celan Fiche de lecture

Paul Celan, 1967 - crédits : Ullstein Bild/ AKG-images

Paul Celan, 1967

Publié à Francfort-sur-le-Main en 1963, La Rose de personne (Die Niemandsrose) est le quatrième recueil de poèmes écrits de 1959 à 1963 par Paul Celan (1920-1970). Il est dédié à la mémoire d'Ossip Mandelstam dont Celan avait traduit des poèmes en 1959. Cette dédicace n'est évidemment pas innocente de la part d'un poète aussi conscient de ce qu'implique l'acte poétique.

La quête d'une réalité

Comme Celan le dit dans l'Almanach Flinker, en 1958, « la réalité n'est pas, la réalité demande à être cherchée et conquise » et le poème ne saurait se réduire à un jeu de vocables fascinés par leur propre profération. Si parler c'est dire quelque chose sur quelque chose à quelqu'un, comme le voulait Aristote, le poème chez Celan est toujours la transmission d'une réalité à un interlocuteur qui devrait pouvoir en répondre. L'interlocuteur peut ne pas être présent, il peut être « personne » : il est là pourtant, ne serait-ce qu'en creux, comme appel à dire et à dire avec le plus de précision possible la réalité dans ce qu'elle a d'indicible, voire d'insoutenable. C'est entre ces deux contraintes : dire à quelqu'un et chercher la réalité que La Rose de personne peut être située. Le poème n'existe qu'à condition d'être entendu, reçu. Mais ce qu'il donne n'a pas de destinataire a priori apte à recevoir la réalité qui lui est destinée. Cette réalité reste toujours à quêter.

La Rose de personne est, par sa construction très soigneusement élaborée, non pas un recueil de poèmes divers mais une œuvre qui vaut pour elle-même. La rose qui donne son titre au livre est la fleur que poètes et mystiques (Rilke, Benn, Angelus Silesius, Mandelstam...) surent nommer. Mais c'est « pour » et « contre », que le poète explore l'espace dévasté où elle fleurit : « Loué sois-tu, Personne,/ Pour l'amour de toi nous voulons/ fleurir./ Contre/ toi.// Un rien/ nous étions, nous sommes, nous/ resterons, en fleur :/ la rose de rien, de/ personne » (Psaume). Ce poème central est comme un écho du premier poème du recueil dont la dernière strophe débute par ces vers : « Ô un, ô nul, ô personne, ô toi : / où ça menait, si vers nulle part ? » Si le poème est don gratuit, adressé à personne, il est destiné à qui saura accueillir en lui ce dont il s'expose à faire mémoire. Le sens n'est pas caché derrière le texte, il se tient sous les yeux du lecteur qu'il pressent et appelle, mais qui peut aussi ne pas être ou ne pas répondre. « Bouteille jetée à la mer », le message court toujours le risque de ne pas atteindre son interlocuteur, et celui de n'être pas entendu.

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