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LA SAGA DES INTELLECTUELS FRANÇAIS (F. Dosse) Fiche de lecture

Par-delà les itinéraires personnels qui y sont évoqués, la vaste Saga des intellectuels français (Gallimard, 2018)de François Dosse raconte comment on pensait et on se disputait au xxe siècle. Tout au long de deux forts volumes (À l’épreuve de l’histoire 1944-1968 et L’Avenir en miettes 1968-1989), il fait défiler un bon demi-siècle de passions dévorantes, de polémiques énormes autour d’un même souci, celui de la compréhension et de l’amélioration du monde.

Le temps de l’engagement

Les paroles prononcées en 1957 par Albert Camus à la réception de son prix Nobel de littérature sont à ce titre toujours d’actualité. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Nous sommes alors en pleine guerre d’Algérie, un moment fort dans cette chronologie, mais le propos guide en réalité tout le projet de reconstitution de ce cycle au cours duquel on a vu le nombre d’étudiants passer de 123 000 en 1945 à 811 000 en 1975. Ce n’est que lorsque le politique paraît s’effacer devant l’économique que l’intellectuel prophétique – cette figure héritée de Hugo et de Zola – disparaît. La chute du Mur de Berlin a fini par entraîner avec elle le communisme mais aussi toutes les utopies héritées du xixe siècle qui avaient retrouvé une certaine vigueur en mai 1968.

François Dosse a lui-même été marqué par cette époque. Il est à Prague en août 1968, commence ses études à l’université expérimentale de Vincennes et adhère à la jeune Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Professeur à l’université Paris-Est-Créteil (UPEC), chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), auteur d’une Histoire du structuralisme (1991 et 1992) et de biographies de Paul Ricœur, Michel de Certeau ou Cornelius Castoriadis, il était tout indiqué pour s’attaquer à ce projet d’envergure. « Cette histoire des intellectuels, explique-t-il, a été conçue comme une mise à l’épreuve des schémas d’explication réducteurs. » Il revendique ainsi une « indétermination théorique » qui fait qu’on ne peut s’arrêter « au seuil des œuvres ». Il faut donc puiser dans les itinéraires de chacun et mettre en évidence les anecdotes éclairantes pour obtenir une tentative d’explication non téléologique de cette « épopée » sans pareil.

Au cœur de ces existences, Sartre, figure centrale du premier volume, domine par sa carrure et par ses ruptures avec Aron, Camus, Lefort ou Merleau-Ponty, qui ont marqué l’histoire intellectuelle de l’après-guerre. Celle-ci aura généré nombre de chapelles avec autant de querelles. Le livre très documenté de François Dosse nous permet de suivre chronologiquement les rebondissements de ce grand roman des idées constamment tiraillé par le politique, du maoïsme à l’extrême droite, de l’anticolonialisme à la revendication identitaire.

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