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LA SEPTIÈME CROIX (A. Seghers) Fiche de lecture

Un roman polyphonique

Dans ce récit foisonnant, la perspective de narration change souvent, comme chez beaucoup d’auteurs de cette époque (de James Joyce à Alfred Döblin en passant par John Dos Passos), contribuant à donner un souffle puissant à l’histoire en embrassant toutes les facettes de la réalité. Quant aux nombreux dialogues, ils font souvent intervenir des tournures familières qui, mêlées à des détails empruntés au quotidien, donnent immédiatement vie aux personnages. Les destins croisés ou brisés de ces prisonniers nous mettent en effet en présence de la population allemande moyenne et de ses réactions face au danger : les lâches, les conformistes, les apeurés, mais aussi les héros du quotidien. Ainsi Paul Röder, un ancien camarade de classe de Georg, n’hésite pas à le cacher chez lui, alors que le quartier est bouclé. Plus tard, Franz, un camarade communiste, décide aussi de lui venir en aide, dessinant ainsi un premier axe de solidarité qui, aux yeux de l’auteure, est le seul moyen de venir à bout de la barbarie.

D’origine juive et militante communiste, Anna Seghers est doublement indésirable en Allemagne à l’époque qui sert de cadre au récit. Elle compense cette impossible présence en situant l’histoire dans une région qu’elle connaît bien, puisqu’elle y est née. Cela donne des descriptions de paysages et de villages pleines de lyrisme et de pittoresque, en cette période de l’année où souvent le brouillard est roi et où l’on cueille les pommes pour faire du cidre. Mais la description mélancolique de la nature n’oblitère pas la dureté de ce qui est en jeu, faisant au contraire ressortir la cruauté des hommes. Ainsi le camp de concentration de Westhofen, s’il est fictif, n’est pas sans rappeler celui d’Osthofen, en Rhénanie-Palatinat, qui a fonctionné jusqu’en 1934. Étonnamment, ce livre, qui est un hymne à la solidarité et à la résistance, ne s’attarde guère sur le sort des juifs dont l’auteure, par ses origines, est pourtant partie prenante. En revanche, il multiplie les symboles, qu’ils soient magiques ou religieux comme le chiffre sept (sept prisonniers, sept chapitres pour raconter une fuite de sept jours) ou la présence de la croix (bien que le salut soit ici accordé au seul qui justement ne sera pas crucifié), ce qui renforce la portée universelle du roman. Anna Seghers savait d’ailleurs ce qui se passait en Allemagne en 1936 grâce aux récits des exilés qu’elle rencontrait en France. Grâce à la presse aussi. Karl Kraus, l’écrivain autrichien qui a écrit l’essai le plus lucide sur la montée du nazisme, TroisièmeNuit de Walpurgis, livre rédigé quelques mois seulement après l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, disait qu’il suffisait de lire les journaux et d’écouter la radio pour connaître la réalité des choses. Et puis bien sûr, comme chez tout écrivain, il y a la part de fiction qui souvent coïncide avec une réalité plus subtile encore.

— Pierre DESHUSSES

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