LA SOCIÉTÉ DE COUR, Norbert Elias Fiche de lecture
Le destin de La Société de cour est le reflet des difficultés dont a souffert Norbert Elias (1897-1990), sociologue allemand d'origine juive, face à l'avènement du nazisme. Publié pour la première fois en Allemagne en 1969, traduit en français en 1974, ce livre est tiré d'une thèse d'habilitation que Norbert Elias achève en 1933 dans le cadre de l'université de Francfort (Die Höfische Gesellschaft), sans que ce travail ait jamais pu être soutenu. Ouvrage antérieur à celui que l'on considère généralement comme le chef-d'œuvre de Norbert Elias, Über den Prozeß der Zivilization (1939), traduit en français sous les titres La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l'Occident (1975), La Société de cour n'en contient pas moins tous les linéaments de l'œuvre à venir.
Précédé d'un Avant-Propos dans lequel Norbert Elias revient sur la démarche qui a été la sienne (« passer d'un point de vue historique à un point de vue sociologique »), ce livre a pour objet de comprendre « comment et pourquoi, dans une certaine phase du développement de l'État, il se forme une position sociale qui concentre entre les mains d'un seul individu des possibilités de pouvoir comparativement extraordinaires ». À travers l'étude de la société de cour (c'est-à-dire à la fois de la cour comme société et de la société dont la cour est l'institution centrale), Norbert Elias entend rompre avec une tradition dominante de la discipline historique qui tend à concevoir l'individu comme « isolé » de la société dans laquelle il évolue. Si Louis XIV peut ainsi être tenu pour un « personnage unique et exceptionnel », ses actions ne peuvent toutefois se comprendre indépendamment de la « position sociale » qui est la sienne au sein de la « formation sociale » dont elle est constitutive.
La structure de l'habitat et le système des dépenses
C'est en étudiant l'habitat de la noblesse d'Ancien Régime que Norbert Elias entend retrouver la structure des « relations sociales caractéristiques de la société de cour » (chapitre 1). Toute la « maison » est en effet organisée autour d'une « grande cour carrée » suivant une séparation stricte entre les « locaux destinés aux activités de service », d'une part, et les « appartements privés » et « salons de réception », d'autre part. Le fait que les salons de réception occupent la partie centrale du bâtiment permet ainsi de comprendre que la vie mondaine est au cœur de l'existence des hommes de cour, dont chaque comportement a, dès lors, « une valeur de représentation sociale ». Aussi, les dépenses de prestige ne sont pas simplement la marque d'un goût prononcé pour le luxe, mais une nécessité à laquelle nul homme de cour ne pourrait se soustraire sans déroger à son rang (chapitre 2). À l'inverse du mode de vie bourgeois, dans lequel les dépenses doivent être réglées sur les revenus, le mode de vie aristocratique impose donc d'accorder ses ressources aux exigences de son statut social.
C'est ce « système des dépenses » (comme système social de normes et de valeurs dans lequel est encastrée toute logique économique) qui détermine ce type de relations spécifiques que les hommes de cour entretiennent vis-à-vis du roi. À la menace constante d'une ruine économique, le roi peut en effet opposer sa bienveillance à travers l'offre d'une charge à la cour, une nomination militaire ou un cadeau en numéraire. Dans la mesure où la considération du roi est indispensable à la préservation de leurs revenus, les courtisans sont donc contraints par une « logique du prestige » qui fait partie intégrante du « mécanisme du pouvoir ».
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Écrit par
- Antonin COHEN : docteur en science politique, chargé de recherche Marie Curie, London School of Economics
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