LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE EN TENDANCES 1975-1995 (Louis Dirn) Fiche de lecture
Louis Dirn est aux sciences sociales ce que fut naguère Nicolas Bourbaki aux mathématiques : le pseudonyme d'un groupe polycéphale. Anagramme de « lundi soir », il désigne une équipe de sociologue – universitaires, statisticiens, praticiens du marketing, syndicalistes –, qui se réunissent chaque semaine, à partir de 1984, à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Outre les chroniques des tendances régulièrement publiées dans la revue de l'OFCE, ce groupe, principalement animé par Henri Mendras et Michel Forsé, entreprend de faire paraître une série d'études sur l'évolution de la société française. Après La Société française en tendances 1965-1985 (1990), L'Analyse structurelle du changement social (1991) – présentation par M. Forsé du modèle de Louis Dirn – et un recueil de travaux consacrés aux Tendances comparées des sociétés postindustrielles (1995), voici donc, toujours publié aux Presses universitaires de France, le quatrième volume des Archives de Louis Dirn, La Société française en tendances 1975-1995 (1998), avec pour sous-titre : Deux décennies de changement.
Conçue comme un diagnostic global « sur le changement de moyen terme pour un secteur donné », chaque tendance fait ici l'objet d'un examen minutieux qui en situe l'inscription à différents niveaux – descriptif et explicatif, analytique et synthétique, microsocial et macrosocial. L'exploitation secondaire d'enquêtes, de monographies, de rapports d'experts fournit des indicateurs du changement – quantitatifs et qualitatifs –, au moyen desquels il est possible d'identifier et d'évaluer ces tendances d'évolution. Celles-ci, au nombre de cinquante-huit, représentent ainsi les lignes de force des transformations qui affectent les institutions, les situations ritualisées, les modes de régulation, les modèles de comportement et les pratiques sociales.
Le constat d'ensemble sur lequel s'ouvre ce volume affine sensiblement celui qui fut posé au seuil de la précédente décennie. Il était alors centré sur la crise sociétale engendrée par la conjonction de multiples mouvements de diversification et le maintien de certaines rigidités structurelles ; il montrait aussi la place, dans les processus du changement, des groupes intermédiaires, réseaux et associations. Le présent diagnostic comporte trois volets étroitement articulés : il enregistre d'abord des innovations sur fond de continuité, ensuite les innovations en rupture, enfin les retournements issus de la crise économique.
Parmi les mouvements qui se poursuivent inexorablement figurent la désacralisation des grandes armatures symboliques – l'État, l'Église, l'armée, l'école –, la promotion des institutions locales et le remplacement progressif des relations de masse par des rapports de proximité. Une longue évolution s'achève avec la disparition de l'opposition de la campagne et de la ville. D'autres transformations, amorcées après les Trente Glorieuses, manifestent maintenant leurs pleins effets. Il en est ainsi de la différenciation des âges – encore que les frontières entre jeunesse, âge actif et troisième âge apparaissent aujourd'hui moins tranchées qu'il y a quinze ans –, et de l'indifférenciation des sexes – encore qu'en ce domaine les pratiques restent en retard sur les valeurs ; mais ce qu'avait annoncé Louis Dirn dès 1984, « le troisième âge animera la société française », se trouve bien confirmé.
Trois innovations en rupture sont repérées. Le déclin des institutions nationales et la relative pacification du débat idéologique ont engendré une diversification des valeurs, une fragmentation des modèles de référence et, associé à d'autres facteurs – le chômage notamment –, le développement d'un[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique