LA STRUCTURE DE L'APPARENCE, Nelson Goodman Fiche de lecture
Systèmes constructionnels et systèmes fondationnels
Ces choix font de La Structure de l'apparence un système différent de celui élaboré par Carnap. Les difficultés en sont évitées grâce à une inversion de l'inspiration et de la démarche. Le problème de Carnap était celui de l'abstraction. Chez Goodman, il devient celui de la concrétion. Comme l'indique clairement le titre de l'ouvrage (à la différence du titre choisi pour la thèse de 1941), il ne s'agissait pas, pour Goodman, de construire le monde, mais de décrire l'apparence. Cette importante différence permet de distinguer clairement les projets constructionnels – idée à laquelle Goodman restera fidèle – des projets fondationnels auxquels la philosophie nous a habitués. Pour Goodman, le choix d'une base autorise toujours plusieurs possibilités ; en outre, l'expérience est telle que nous partons toujours d'éléments conceptualisés, subordonnés à des langages préalables. La Structure de l'apparence, sous cet aspect, dénonce à sa manière « le mythe du donné » et s'accorde avec la critique formulée par Quine des « dogmes de l'empirisme ».
Ces traits, que masque la parenté de l'entreprise de Goodman avec celle de Carnap, font de La Structure de l'apparence l'une des œuvres qui aura le plus profondément marqué la contestation de l'empirisme au xxe siècle. Bien que ce livre n'occupe plus la place qui fut la sienne dans les années qui suivirent sa parution, il reste, avec l'Aufbau, de Carnap, ou les Principia mathematica, de Russell, l'une de ces somptuosités exigeantes dont l'audace philosophique est parfois la source. Les choix sur lesquels il repose relèvent d'une originalité et d'une ingéniosité logique dont il n'existe pas beaucoup d'exemples ; ils entrent en relation, pour qui parvient à en maîtriser la complexité, avec des problèmes très actuels en philosophie du langage et en philosophie de l'esprit. Dans l'œuvre de Goodman, ils offrent une première illustration de ce qu'il appellera plus tard, dans un livre signé avec Catherine Elgin, une « reconception de la philosophie » qu'il n'a cessé d'appeler de ses vœux.
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
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