LA STUPEUR (A. Appelfeld) Fiche de lecture
Une parole au plus près du monde
Si le narrateur n’emploie jamais le mot guerre, ne donne pas de repères historiques et seulement de rares indices géographiques, on sait dans quelle région se déroule l’intrigue. Et l’existence de l’antisémitisme, dans ses manifestations quotidiennes, avec son lot d’humiliations, suffit à mettre en lumière le contexte. Pendant toute l’épreuve subie par les Katz, l’indifférence, le mépris voire la détestation et la cupidité se manifestent. Nul ne considère cette famille, ou ne l’aide. Pis : des villageois pillent la boutique, cherchent un trésor qu’ils croient enfoui dans le jardin. La mort de ces êtres qui ont creusé leur fosse devant tout le monde ne suscite aucune pitié.
Seule Iréna devient autre. En effet, ayant travaillé chez eux, elle a éprouvé à leur égard un mélange de méfiance et d’envie. Elle a le même âge qu’Adéla, leur fille aînée, qui a pu mener des études d’infirmière à Czernowitz ; Iréna est restée servante, prisonnière d’Anton, son mari brutal. L’épreuve infligée par les Allemands, « des êtres responsables et cultivés » comme les désigne Ilitch, l’amène à dépasser ces sentiments.
La Stupeur est un roman limpide. L’écriture d’Appelfeld est faite de peu de mots. On sait quel rôle l’« hébreu rugueux » qu’il a appris seul en lisant et copiant le texte biblique joue dans cette épure. Sa phrase est brève, toujours faite de termes concrets : l’écrivain rejette les « grands mots », le pathos si vite atteint. Dans son œuvre, le corps est ce qui parle d’abord, d’où l’importance des sensations de toutes sortes. La sobriété n’exclut jamais l’émotion.
Ses personnages les plus forts, même quand ils ne sont pas de premier plan, sont des êtres au corps fragile ou abîmé. Ils sont souvent taciturnes, voire muets. C’est le cas de Katz, épicier ayant perdu la parole après avoir contracté le typhus. C’est aussi et surtout le cas de sa fille Blanka, une enfant attardée dont tout le village se moque et que l’on insulte. Ses parents la cachent autant qu’ils le peuvent. Elle est la porte-parole de l’écrivain et incarne cette humanité dont le roman, dans son ensemble, est l’expression magnifiée.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
Classification
Média