LA SYMPHONIE DU HANNETON (J. Thiérrée)
Le rideau se lève. Un adolescent est couché. Une jambe se dérobe, un pied disparaît. Une fumée s'échappe du cerveau. Le lit se cabre… Peu à peu, l'espace de la scène se transforme en cabinet des métamorphoses. Les objets se mettent à vivre leur existence propre : un miroir se détache du visage qu'il reflète, un canapé engloutit ce qui passe à sa portée, un parapluie se transforme en autruche. Les visions fantasques s'accumulent : une cantatrice s'échappe d'un tableau, une femme araignée escalade une grille, un couple s'aime en trapèze volant, une contorsionniste s'extrait d'une valise, un rhinocéros apparaît, suivi d'un dragon...
Créé en 1998 à l'Orion Theater de Stockholm, La Symphonie du hanneton est le premier spectacle de James Thiérrée, né en 1974, arrière-petit-fils d'Eugène O'Neill et petit-fils de Charlie Chaplin, mais surtout enfant de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thiérrée, fondateurs du Cirque bonjour, devenu le Cirque imaginaire, puis le Cirque invisible. Initialement présenté en France en 1998, ce spectacle « féerique pour tout public » a été repris un peu partout dans l'Hexagone avant de revenir à Paris, au Théâtre du Rond-Point, au printemps 2005, pour d'ultimes représentations, laissant à chaque fois le public émerveillé. C'est que ce coup d'essai-coup de maître (suivi en 2004 de La Veillée des Abysses) ne ressemble à rien de connu. Il emprunte autant au théâtre qu'à la danse, au mime, à la musique ou au cirque. Supprimant les frontières entre les genres, il rend aux objets leur âme, donne la parole moins aux mots qu'aux corps en mouvement pour une équipée, entre veille et sommeil, au pays des bonheurs naïfs et des peurs secrètes.
La Symphonie du hanneton ne suit pas le fil d'un récit mais se perd plutôt volontairement dans la trame de l'émotion première, jouant de la confusion permanente des sentiments et des sens. Face au plateau, James Thiérrée est comme le peintre devant sa toile. Il compose par petites touches les séquences nées d'images puisées au plus profond de lui-même, faisant la part belle à la mémoire d'une enfance présente aussi bien dans le titre du spectacle que dans le nom qu'il a choisi pour sa compagnie : la Compagnie du hanneton. Tout petit, raconte-t-il, son père l'avait gentiment affublé du sobriquet de « hanneton ». Dans le programme de la reprise de La Symphonie du hanneton au Théâtre du Rond-Point, il précise : « La Symphonie du hanneton m'est venue comme un amas d'images et de désirs que l'on ne peut plus garder au grenier. »
S'il existe une logique dans ce spectacle, elle repose essentiellement sur l'analogie poétique, chaque saynète en appelant une autre dans la fluidité, voire la porosité entre les actions qui se succèdent. L'imagination avance en roue libre, provoquant émerveillement et stupéfaction par l'apparente incongruité de ses agencements. Ainsi lorsque, au terme d'un tableau représentant un banquet baroque, les couverts en argent transforment les convives en animaux surgis d'un bestiaire fabuleux, cuirassés et menaçants.
Pour maintenir dans l'espace de la scène cette atmosphère surréelle, James Thiérrée n'utilise pas d'effets spéciaux. Ses seuls moyens sont ceux de l'illusion théâtrale : jeux savants de sons et de lumières, toiles peintes. Le décor, minimaliste, se résume à un bric-à-brac : un lustre, une malle, un lit, une table, un canapé, un fauteuil, une armoire… L'essentiel du spectacle repose alors sur les interprètes et sur leur maîtrise de tous les arts de la scène : voltige et contorsion avec Raphaëlle Boitel, chant avec Uma Ysamat, jonglage avec Magnus Jakobson, acrobatie et musique avec James Thiérrée lui-même, volant dans les airs, suspendu à un lustre ou jouant du violon en rollers… Tous[...]
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix