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LA TANTE JULIA ET LE SCRIBOUILLARD, Mario Vargas Llosa Fiche de lecture

Le romancier péruvien Mario Vargas Llosa - crédits : The Granger Collection, New York

Le romancier péruvien Mario Vargas Llosa

Avec La Tante Julia et le scribouillard (1977), le romancier péruvien Mario Vargas Llosa (né en 1936) poursuit le travail de distanciation narrative et d'ironie romanesque qui est le sien depuis Pantaléon et les visiteuses (1975). Jusque-là, son projet déniait la présence d'un créateur vraiment omniscient, et donc libre et joueur. Que ce soit au travers de récits brefs et cursifs comme Les Chiots (1974) ou Les Caïds (1974), au travers de vastes constructions polyphoniques, telles La Maison verte (1969) ou Conversation à la cathédrale (1973) – où des personnages ne nous étaient représentés que par leurs paroles et leurs attitudes –, Vargas Llosa semblait s'être interdit le point de vue d'auteur, la part malicieuse du deus ex machina. Ces romans-là fascinaient sans entraîner franchement l'adhésion ; ils attiraient, tout en faisant naître une manière d'« inquiétante étrangeté ».

Faut-il s'en attrister, faut-il s'en réjouir, Vargas Llosa, depuis lors, semble s'être profondément « occidentalisé ». À cette évolution, nul doute que L'Orgie perpétuelle (1978), remarquable essai consacré à Flaubert et à Madame Bovary, ait contribué. On s'étonnait là de voir un romancier, champion de l'allant, de la vitesse et de la facilité d'improvisation et d'invention, voire d'un certain feuilletonisme romanesque, se mettre si bien à l'écoute du champion de la description, du portrait, du frein de l'histoire – ces grands romans « paralysés » dont parlait Malraux – qu'est Flaubert.

Récits imbriqués

Qu'est-ce que La Tante Julia et le scribouillard ? C'est, comme l'on dit, une histoire « bien ficelée ». Ou plutôt des histoires, autonomes, alternées, mais qui, dans leur imbrication et leur contiguïté, en viennent peu à peu à s'apparenter dans un commun rapport de sens. En fait, deux grands récits de base jalonnent l'ouvrage : un récit continu, d'une part, qui retrace, au travers des travestissements romanesques qui s'imposent, l'adolescence de Vargas Llosa lui-même, alias « Varguitas » ; d'autre part, un récit entrecoupé, indirect, en creux, qui ne fait que reproduire certains épisodes des feuilletons que Pedro Camacho, scribouillard hurluberlu et mégalomane, écrit et met en ondes pour la radio de Lima où Varguitas, jeune étudiant en droit, glane péniblement quelque argent de poche. Que ces deux agencements narratifs, si dissemblables et si dissociés, puissent s'interpénétrer, cela s'explique par le fait que tous deux, à leur manière, établissent une même représentation du vertige du sens ou de l'événement, une même figuration de la course à l'abîme. Que ce soit au travers du récit quasi autobiographique de Vargas Llosa ou par le biais des fictions délirantes de Pedro Camacho, une commune unité de ton transparaît : le mélodrame poussé tantôt jusqu'à l'humour, tantôt jusqu'à la parodie.

Parlons de l'humour et de l'histoire de Varguitas. C'est un mélodrame léger : Pixérécourt – le père du mélodrame – revu par Flaubert. Belle âme adolescente, Varguitas s'éprend de sa tante Julia, de plus de dix ans son aînée. Nul inceste ici – la tante n'étant que la sœur de la femme de l'oncle –, mais en tout cas la menace de l'opprobre et de la sanction familiale. Menace qui ne tarde pas à se réaliser, l'amour étant partagé et constaté devant témoins. D'où les vicissitudes et le suspens d'un mariage difficile à aboutir et qui, au bout du compte, avortera tristement. Il y a là comme une lointaine réminiscence des amours de Frédéric Moreau et de Madame Arnoux dans L'Éducation sentimentale. En contrepoint, et dans la parodie, nous est donné un florilège des fictions abracadabrantes de Pedro Camacho.[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Média

Le romancier péruvien Mario Vargas Llosa - crédits : The Granger Collection, New York

Le romancier péruvien Mario Vargas Llosa

Autres références

  • VARGAS LLOSA MARIO (1936- )

    • Écrit par et
    • 3 960 mots
    • 1 média
    La Tía Julia y el escribidor (1977, La Tante Julia et le Scribouillard) est à la fois le récit d'une éducation sentimentale et une évocation de Lima dans les années 1950. Ici le romancier – sous le nom de Marito ou de Varguitas – se met directement en scène : son adolescence, son entourage familial,...