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TARASQUE LA

La Bête de Noves, monstre hideux aux griffes plantées sur deux têtes humaines dégoulinantes de sang (annexe du musée Calvet, Avignon) peut-elle être considérée comme l'ancêtre de la tarasque rhodanienne ? (Noves est une localité située au bord de la Durance, pas très loin du confluent de celle-ci avec le Rhône, et de Tarascon qui tient son nom de cet animal fantastique). Louis Dumont, faisant l'étude de La Tarasque (1951), ne le pense pas, inclinant fortement à ne pas faire remonter le mythe au-delà du xiie siècle.

Margaret Murray a étudié dans les mythes de ce type (Le Dieu des sorcières) l'affrontement de la religion ancienne des peuples vaincus avec celle des peuples envahisseurs. La Tarasque serait le dieu cornu des anciens Gaulois, vaincu par le christianisme (sainte Marthe), et le diable (cornu lui aussi) serait le prolongement christianisé de ce dieu négatif, voué aux ténèbres.

La tradition populaire perpétue l'existence légendaire d'un monstre qui répandait la terreur, renversant les embarcations dans les eaux du Rhône et dévorant les habitants des berges du fleuve. Jacques de Voragine, ayant sans doute connaissance d'un texte hagiographique de « pseudo-Marcelle », affirme dans La Légende dorée que c'est à sainte Marthe, venue des Saintes-Maries-de-la-Mer, et patronne de Tarascon, qu'il faut attribuer le mérite d'avoir débarrassé la région du monstre (et les habitants de leur frayeur) : elle l'aurait neutralisé en lui présentant la croix et en l'aspergeant d'eau bénite, avant de le livrer, soumis, à la fureur de la foule qui la lapida. Et le roi René aurait même créé (vers 1458), en souvenir de l'exploit miraculeux de Marthe, un ordre de la Tarasque réservé aux jeunes gens à qui l'on accordait le droit de porter en sautoir une effigie dorée de la bête, pendue à un ruban de pourpre. À la même époque, le duc de Bourgogne (Philippe le Bon) avait créé un ordre similaire, l'ordre de la Toison d'or (1429).

L'assimilation de la tarasque domptée à des précédents mythologiques connus (Thésée et le Minotaure, friand, lui aussi, de jeunes humains ; saint Georges et le dragon ; Persée délivrant Andromède livrée, elle aussi, à un monstre « amphibie ») et la familiarité de ces thèmes iconographiques antiques expliquent aisément l'insertion de cette légende dans le bestiaire roman, et son succès, perpétué dans une tradition locale. Un rituel de fête l'exprimait encore jusqu'à la fin du xixe siècle : un monstre de carton et de papier peints, carapace hérissée de pointes et d'une crête dorsale redoutable, prolongée en proue d'une tête semi-humaine effrayante, était animé par huit jeunes gens cachés, et conduit par huit autres (symbolisant les victimes et les rescapés) ; il semait la terreur dans la population, ravie de « se faire peur ». Une seconde fête célébrait la soumission du monstre, tenu en laisse par une jeune fille. Un rituel liturgique consacré à sainte Marthe se chargeait d'atténuer le côté païen et ambigu de la légende, qui connut bientôt un franc succès en Provence rhodanienne. L'aspect le plus étonnant peut-être de cette célébration est la similitude de la représentation de la tarasque avec les dragons d'Extrême-Orient, ce qui attesterait des apports plus lointains que ceux qui sont venus de Grèce.

— Guy BELOUET

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