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LA TERRE NOUS EST ÉTROITE (M. Darwich)

Au-delà des lumières qu'elle jette sur l'œuvre du poète palestinien, la publication de La terre nous est étroite (2000) de Mahmoud Darwich (1941-2008) met en évidence les enjeux de la création poétique dans les lettres arabes au seuil du xxie siècle.

Un premier choix de poèmes, Rien qu'une autre année, avait permis aux lecteurs français de découvrir dès 1983 un auteur dont la production avait régulièrement trouvé le chemin de la traduction, de même qu'une partie de son œuvre en prose, avec notamment un récit autobiographique intitulé Une mémoire pour l'oubli (1994). Par la suite, La Palestine comme métaphore (1997), un volume d'entretiens, avait offert un aperçu rare sur la poétique d'un écrivain trop souvent présenté comme une simple icône de la résistance palestinienne. Mais c'est dans le cadre de ce volume anthologique que se manifeste pleinement la maturité à laquelle est parvenue cette voix poétique, au terme d'une évolution qui apparaît d'autant mieux au lecteur que toutes les traductions contenues dans ce recueil sont dues au seul Elias Sanbar.

De l'aveu même du poète, la composition de cette anthologie personnelle qu'est La terre nous est étroite aurait pu se limiter aux œuvres publiées durant les deux dernières décennies. Des poèmes plus anciens ont bien été retenus – les premiers remontent à l'année 1966 –, mais ce ne sont sans doute pas les plus célèbres de la période révolutionnaire, ceux que la jeunesse militante continue à fredonner partout dans le monde arabe. Au contraire, il s'agit de textes où l'on perçoit mieux, rétrospectivement, comment se profile, derrière l'image du jeune poète révolutionnaire, la silhouette de l'homme actuel, plus attentif au dialogue éternel de l'individualité et de l'universalité qu'expriment, chacun à sa manière, les grands récits de l'humanité.

À l'évidence, Mahmoud Darwich ne veut plus que son « image publique demeure plus grande que [son] inquiétude ». Sans rien renier de ce qu'il a été, de cette destinée qu'il partage avec son peuple, il ne veut plus être seulement « le poète de la Palestine » et entend se servir de l'écho que recueille aujourd'hui sa poésie à l'étranger pour affirmer la permanence de son identité, « depuis le passé de son exil jusqu'à son présent exilé ». Un combat dont l'issue reste pour longtemps incertaine : au moment même où ce volume voyait le jour en France, la Knesset débattait âprement de l'opportunité d'inscrire au programme des écoles israéliennes quelques-unes des œuvres de ce poète né aux environs de Saint-Jean-d'Acre en 1941 et qui parle la langue de l'État où il a vécu jusqu'au début des années 1970.

Affirmant son droit à être lui-même, sans renoncer à celui d'être palestinien, Mahmoud Darwich souligne que l'évolution de son style et de ses modes d'expression n'a jamais interrompu le dialogue qu'il entretient avec les lecteurs. Car, même si elle se renouvelle, sa poésie prend toujours sa source « dans la longue histoire de la poésie arabe, dans ses cadences, ses canons esthétiques ». Et l'auteur de La terre nous est étroite a raison d'insister sur cette caractéristique qu'il partage avec quelques-unes des grandes voix de la création arabe, poétique mais aussi littéraire et même artistique : à rebours des vains débats qui s'enferment dans l'opposition stérile entre modernité et tradition, il nous rappelle que la création est précisément authentique quand elle s'enracine dans un héritage reconnu parce que révolu.

— Yves GONZALEZ-QUIJANO

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière, chercheur associé au Gremmo-Maison de l'Orient

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