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LA TERRE, film de Youssef Chahine

Film néo-réaliste et allégorique

À partir du roman d'Abderrahman Charkaoui, Youssef Chahine tisse une histoire sinueuse à plusieurs facettes. Il renverse la mécanique des représentations hollywoodiennes au profit d'un discours plus militant. Ses cadrages en gros plan confèrent une dimension allégorique au film. En donnant la parole aux spoliés, le réalisateur met en évidence les rapports dominants/dominés et se démarque des mélodrames traditionnels égyptiens de l'époque. L'action colle directement aux dialogues. De facture plutôt classique, ce film sera cependant aussitôt perçu comme très moderne en Égypte. Derrière la fresque émouvante d'un village égyptien, Youssef Chahine a l'art de mettre en évidence une rhétorique de palabres. En gommant les frontières entre le documentaire et la fiction, il se veut au plus proche de la réalité villageoise, dont il illustre la lenteur. Même si la mise en scène semble parfois trop académique, elle se soumet aux conventions d'une dramaturgie très descriptive. La solidarité villageoise s'effondre devant les intérêts individuels, malgré les efforts consentis pour échapper à la servitude. Les riches propriétaires égyptiens remplacent les colons du passé pour devenir de nouveaux maîtres. Corruptions et lâchetés sont aussi le lot du quotidien. Empreint parfois de clichés pour un spectateur occidental, ce film social est aussi profondément intériorisé. Il met en situation les différents protagonistes (paysans, autorités officielles et propriétaires terriens), critiquant leurs préjugés ou leur tentative d'échapper à une tradition dont ils restent prisonniers et victimes.

Youssef Chahine n'a pas eu à forcer le trait de la vraisemblance historique, mais il l'a rendu exemplaire, à la manière de Luchino Visconti dans La terre tremble (La terra trema, 1950). Des tensions économiques et politiques peuvent avoir raison d'un microcosme villageois à l'écart du monde. Critiquant les transformations agraires intempestives opérées du temps de la monarchie, lors du mandat britannique, ce film peut aussi être perçu comme une tentative de légitimation du pouvoir nassérien. Mais La Terre est avant tout une ouverture sur l'Égypte contemporaine après les désillusions de la défaite en 1967 lors de la guerre de Six Jours. Chahine poursuivra cette réflexion cinématographique au travers de différents récits autobiographiques, comme dans Alexandrie, pourquoi ? (Iskandariyya līh ?, 1978), radioscopie amère de l'Égypte.

— Kristian FEIGELSON

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Écrit par

  • : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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