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LA TRACE ET L'AURA (P. Boucheron) Fiche de lecture

Après l’intense controverse intellectuelle et médiatique suscitée par la publication sous sa direction de l’Histoire mondiale de la France, Patrick Boucheron retrouve une scène plus académique avec La Trace et l’aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan (ive-xvie siècle), Paris, Seuil, 2019. Cette somme d’érudition consacrée à la mémoire disputée de l’évêque Ambroise de Milan (374-397) est appréhendée dans la longue durée, du ve au xvie siècle.

Archéologie d’un nom

Ambroise est l’un des grands ancêtres dont se revendique le christianisme latin, au point de compter officiellement, à partir de la fin du xiiie siècle, au nombre des Pères de l’Église, aux côtés de Jérôme, Augustin – qui se convertit sous son influence – et Grégoire le Grand. Cependant, ce n’est pas à l’éminente figure du moment où l’Empire romain bascule dans la chrétienté que s’intéresse l’ouvrage, mais à ses « vies posthumes » et au « travail de remémoration générative » accompli par toute une série « d’entrepreneurs de mémoire » (évêques, chanoines, moines, seigneurs, princes, humanistes). Car il s’agit avant tout, pour Patrick Boucheron, de mettre au jour les « conditions dans lesquelles se façonnent en longue durée, de manière contradictoire et conflictuelle », autour des appropriations et des réinventions d’Ambroise, « des identités collectives et […] des croyances politiques ». L’ouvrage procède à l’« archéologie d’un nom » qui à partir du xie siècle finit par caractériser tout ce qui est milanais, analysant pour cela tous les remplois, les relèves, les conversions, cherchant à « distinguer ce qui reste de ce qui se perd, ce qui dure de ce qui passe, ce qui se transmet de ce qui se transforme » à travers l’immense variété des traces de l’aura ambrosienne, constituées de textes bien sûr, et de toutes sortes – hagiographiques, épistolaires, liturgiques, historiographiques, polémiques… – mais également de beaucoup d’images, d’objets ou d’édifices – monnaies, objets du culte, sculptures, architectures, enluminures, mosaïques, peintures…

Dès lors, ce qui se donnait à première vue comme une monographie – l’histoire du culte d’un saint, voire celle d’une cité, Milan, à travers le culte d’Ambroise – ne cesse de déborder de son cours. On voit se déployer de manière un peu vertigineuse, à partir des réappropriations, des métamorphoses ou de l’oubli des trois grands schèmes ambrosiens – un modèle de confrontation avec l’empereur et donc de défense de la liberté de l’Église, un modèle de lutte contre l’arianisme et donc de combat contre les hérésies de toutes sortes, un modèle de defensorcivitatis et donc de garant de toutes les affirmations politiques de la ville –, une sorte de revue détaillée des principaux nœuds de l’histoire sociopolitique et culturelle de l’Italie et même de l’Occident. On y aborde ainsi le rôle des évêques à la fin du monde antique, l’intégration d’une Église et d’une cité à l’empire franc, la féodalisation de l’aristocratie militaire, la révolte patarine conduite au xie siècle contre le clergé en place et les combats de la réforme grégorienne, la naissance du mouvement communal, le grand affrontement entre les villes et l’empereur, les crises du régime communal et l’affirmation de la Seigneurie dynastique et territoriale, l’essor des cercles humanistes... Chemin faisant, les analyses s’appuient largement sur toute une série de courants historiographiques pour se pencher sur des questions telles que l’autorité du passé, la religion civique, les pratiques de l’écrit…

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Écrit par

  • : professeur d'histoire médiévale, université de Rennes-II

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