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LA TRACE ET L'AURA (P. Boucheron) Fiche de lecture

Une expérience narrative

En filigrane, La Trace et l’aurapropose par ailleurs, dans le droit fil des œuvres de Patrick Boucheron, une réflexion sur l’histoire et une nouvelle forme d’expérience narrative. La citation de Walter Benjamin qui inspire le titre dit l’essentiel d’une conception du passé où celui-ci n’a d’existence qu’à travers les traces matérielles et l’aura spirituelle qu’il nous lègue, seuls matériaux de l’historien. De ce constat découlent deux fortes conséquences. Le refus de la biographie d’abord, puisqu’il ne saurait s’agir de « retrouver Ambroise », mais bien de se saisir de ce qu’on a dit – lui-même y compris – de lui. La perspective de la longue durée ensuite, seule capable d’embrasser les processus de sédimentation, de stratification et de résurgence du passé sans se laisser piéger par l’instantané du contexte ou l’isolement de la source. Ces convictions épistémologiques expliquent la nécessité de ne pas dérouler le fil d’une histoire linéaire et le choix de jongler avec le temps, que manifestent les multiples allers et retours entre ve et xvie siècle et les fréquentes remontées régressives qui mènent du Quattrocento à l’Antiquité tardive tout au long des cinq traversées des mémoires ambrosiennes qui structurent le plan de l’ouvrage : les récits de vie, les espaces et les lieux, les rêves, les lettres et les images, les polémiques et les combats, la musique et la liturgie. Une telle stratégie narrative rend en outre mieux compte des configurations documentaires, intégrant pleinement dans l’analyse les enjeux de production et de transmission des sources. Ce renoncement à l’évolution linéaire ne signifie pas pour autant un refus de toute périodisation puisque, comme on l’a suggéré ci-dessus, des moments-clés de cristallisation sont clairement définis, caractérisés, c’est-à-dire contextualisés. Mais ces séquences n’ayant jamais la même durée ni la même portée, il serait trompeur de les envisager selon une simple chronologie. Cette expérience narrative permet en définitive de combiner la généalogie – il y a des successions et des filiations qui traversent le temps – et l’archéologie – il y a des sédimentations et des strates qui la recouvrent –, pour saisir la complexité du temps. N’est-ce pas cela faire profession d’historien ?

— Florian MAZEL

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Écrit par

  • : professeur d'histoire médiévale, université de Rennes-II

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