LA TRILOGIE, Naghib Mahfuz Fiche de lecture
En recevant le prix Nobel de littérature, en 1988, le romancier égyptien Naguib Mahfouz (1911-2006) donnait aux lettres arabes une reconnaissance internationale. Trop tardive peut-être, cette distinction n'en honorait pas moins une œuvre de fiction exemplaire. On peut considérer ainsi que la publication de La Trilogie entre 1956 et 1957, mais dont la rédaction était achevée dès 1952, a marqué la fin d'un cycle ouvert un siècle plus tôt par La Jambe sur la jambe du Libanais Faris Chidyaq.
Avec La Trilogie, le roman arabe se trouvait désormais en demeure de prouver non plus son existence mais son indépendance, notamment par rapport à ses modèles européens. Succédant aux premières œuvres influencées par le roman historique et précédant immédiatement la rédaction du Fils de la médina (1959) avec lequel Mahfouz donne une nouvelle inflexion à son écriture, à la fois plus moderne et peut-être plus inquiète, La Trilogie représente également le point culminant de la période dite réaliste, celle qui a permis à son auteur de s'imposer sur la scène littéraire et de rencontrer le plus vaste public.
Une trilogie réaliste
Connus aujourd'hui sous le nom de La Trilogie, les trois romans qui retracent la destinée d'une famille cairote, de 1917 à 1945, auraient dû initialement être publiés en un seul volume. Toutefois l'unité de l'œuvre ne souffre guère d'une partition que la parenté des titres, qui renvoient aux trois quartiers de la capitale égyptienne où se déroule l'action, contribue à effacer.
Impasse des deux palais ouvre le récit en présentant une société largement dominée par la tradition, soumise aux décrets divins et au pouvoir tout-puissant des chefs de famille. Le représentant en est Abd el-Gawwad, ce bourgeois aisé qui impose aux siens toute la rigueur de sa sévérité, tout en se donnant à lui-même la liberté d'agir selon ses penchants et ses humeurs : « Quant à lui, il était on ne peut plus jaloux de sa dignité et de son autorité, ses moments de gentillesse n'étaient que fugitifs et, si de temps en temps, assis sur son divan, un large sourire s'ouvrait sur son visage à la pensée soudaine des bons moments de la soirée, il avait vite fait de se reprendre et de se renfermer. » Cependant, des changements s'annoncent dans une Égypte unie par une même ferveur nationaliste, où même les femmes participent à la revendication politique. Le premier tome s'achève ainsi avec la révolte de 1919, durant laquelle un des fils, Fahmi, trouve la mort.
Transportant son lecteur dans la seconde moitié des années 1920, Le Palais du désir place sur le devant de la scène la génération suivante, celle de Kamal, qui, sans aller jusqu'à se rebeller ouvertement contre son père, affirme progressivement son autonomie. Kamal fait partie de ces intellectuels qui s'efforcent de propager les idées modernes dans une Égypte de plus en plus travaillée par le processus de modernisation politique : malgré le soutien des grands propriétaires terriens, la royauté résiste difficilement à la dynamique de progrès incarnée par la bourgeoisie montante. De nouveau, le récit se referme sur une mort, celle du beau-frère de Kamal, Khalil Shawkat, ainsi que de ses deux fils, Othman et Mohammad.
Le troisième tome, Le Jardin du passé, est celui qui couvre la période la plus longue, de janvier 1935 à l'été 1944. Amorcée depuis le début du siècle, l'évolution de la société égyptienne devient flagrante. Le monde patriarcal d'Amina, la grand-mère, qui était décrit dans les premières pages de La Trilogie, s'est éteint ; les rapports sociaux, les paysages urbains sont définitivement autres, plus modernes mais aussi plus occidentalisés (significativement, l'achèvement de La Trilogie coïncide avec la révolution de 1952 et l'entrée de l'Égypte dans son ère républicaine).[...]
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Écrit par
- Yves GONZALEZ-QUIJANO : maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière, chercheur associé au Gremmo-Maison de l'Orient
Classification
Média
Autres références
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MAHFOUZ ou MAHFŪZ NAGUIB (1911-2006)
- Écrit par Luc-Willy DEHEUVELS
- 2 007 mots
- 1 média
Après al-Sar̄ab (Chimères, 1948) et Bid̄aya wa nih̄aya (Vienne la nuit, 1949), cette séquence de romans citadins culmine avec Bayna l-Qasrayn (Impasse des Deux-Palais, 1956), Qasr al-Chawq (Le Palais du désir, 1957) et al-Sukkariyya (Le Jardin du passé, 1957). Ces trois romans, écrits...