LA VÉRITÉ DANS L'ÉGLISE CATHOLIQUE. CONTESTATIONS ET RESTAURATION D'UN RÉGIME D'AUTORITÉ (J. Lagroye) Fiche de lecture
En tant qu'objet d'étude, l'Église catholique permet de réfléchir plus généralement à ce que sont les institutions et à ceux qui les font. Alors qu'elle est souvent présentée comme une institution en crise, La Vérité dans l'Église catholique (2006) invite à revenir sur les explications et les limites des bouleversements de son histoire, à réfléchir aux ajustements pratiques et discursifs imaginés par ses protagonistes pour la défendre ou la faire évoluer, bref, à penser les tensions qui s'y expriment et leurs effets sur et dans l'institution.
L'auteur, Jacques Lagroye (1936-2009), a mené une patiente enquête, inspirée par un bel idéal de raison et de compréhension. Les longs entretiens recueillis auprès de différents acteurs, dont de nombreux extraits rythment la démonstration, illustrent parfaitement cette capacité d'écoute et de distanciation qui guide la démarche. Au demeurant, l'auteur ne cache pas sa proximité avec ceux qu'il tente de comprendre. Comme catholique, il partage leurs « interrogations parfois anxieuses ». Préoccupé par la « survie » de cette « institution en des temps difficiles », il ne dissimule pas non plus son souci de la voir échapper à la menace de l'intolérance et son souhait qu'un « discours critique sur les vérités qui justifient les pratiques » puisse être préservé en son sein. En prenant le soin de préciser d'où il parle et de mieux cerner son propre rapport à l'Église, Jacques Lagroye ne se contente pas d'obéir aux canons de la raison scientifique ou de faire preuve d'honnêteté intellectuelle. Il s'efforce aussi de construire une analyse sur un objet qui lui tient à cœur en s'appuyant sur une démarche sociologique qu'il sait incapable de tout expliquer.
Le voyageur non initié trouve à sa disposition un riche glossaire pour se repérer dans l'univers catholique. L'institution qu'il commence par découvrir se donne alors à voir sous la forme d'une Église en crise. Le premier chapitre s'emploie à cerner les dimensions subjectives et objectives de ce phénomène. L'Église catholique fait en même temps corps avec des espaces paroissiaux et fait écho à des discours et à des pratiques. Elle opère un travail continu de rationalisation afin de résoudre les tensions nées des écarts entre l'ordre des pratiques et l'ordre des discours mis en œuvre pour justifier ces dernières (chap. II). Jacques Lagroye débat alors l'articulation complexe entre les discours des acteurs et leurs pratiques et montre combien coexistent, au cœur de l'institution, des manières de voir et de faire différentes, voire opposées, en liaison avec des formes d'engagement éminemment variables. Le troisième chapitre revient ensuite sur les individus qui donnent sens à cet univers prêtres et évêques en adossant leur présentation aux rapports de pouvoir et aux justifications qui fondent leur autorité au sein de l'organisation. Le monopole d'interprétation des textes et des pratiques que possèdent les évêques (et les opportunités de pouvoir qu'il leur confère), sur lequel repose à la fois leur légitimité religieuse et intellectuelle, est ainsi minutieusement analysé. L'auteur s'emploie également à éclairer comment on devient prêtre et qui le devient effectivement, comment ces dimensions sont de nature à influer sur le rapport au rôle ainsi investi et comment les individus qui finissent par l'habiter engagent avec eux, au final, des rapports à l'Église extrêmement différenciés.
L'étude des pratiques, rôles et justifications du pouvoir dans l'Église conduit Jacques Lagroye à s'interroger dans les trois derniers chapitres sur les rapports à la vérité au sein de cette institution, la vérité étant présentée comme l'ensemble « des propositions[...]
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Écrit par
- Éric PHÉLIPPEAU : maître de conférences en science politique à l'université de Paris-X-Nanterre, membre du Groupe d'analyse politique
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