LA VIE D'ADÈLE (A. Kechiche)
La palme d'or du festival de Cannes 2013 est une palme d'or particulière. Le président du jury, Steven Spielberg, l'a remise en annonçant qu'elle était attribuée non au seul metteur en scène, mais à « Adèle, Léa et Abdellatif Kechiche ». Les suites de ce triomphe cannois, salué par les applaudissements de la grande salle du Palais des festivals, ont été moins euphoriques. Au moment du festival, des techniciens se sont plaints des conditions de tournage. À la sortie du film, en octobre 2013, Abdellatif Kechiche a estimé que la presse le traitait mal. À cela sont venus s’ajouter des échanges amers entre lui et Léa Seydoux, des réserves exprimées par Adèle Exarchopoulos. Mais le film est là. Il se suffit à lui-même, au-delà de toute polémique sur les qualités humaines ou les difficultés de caractère de chacun des protagonistes. Tenons-nous en donc à ces 2 h 59, telles qu'elles existent dans le montage final projeté sur les écrans à l'automne de 2013, et salué par un grand succès public en France comme à l'étranger.
Un film à la première personne
Le titre du film et les premiers plans, où des lycéens étudient La Vie de Marianne,de Marivaux,annoncent la couleur : c'est le début d'un roman d'apprentissage. Le point de vue d'Adèle y est prépondérant. Le cinéaste se place et nous place du côté de la jeune fille, en la filmant de très près, sans que jamais elle ne quitte l'écran. Son personnage est naïf, intelligent, avide de vivre : en insistant sur sa bouche, sur ses larmes, ses enthousiasmes ou sa sensualité enfantine, il nous met en contact intime avec une jeune fille qui porte le prénom de l'actrice qui l'interprète. Un portrait d'une telle complexité et d'une telle finesse renvoie à d'illustres antécédents, à la série que forment Monika d’Ingmar Bergman, Les 400 Coups de François Truffaut et À nos amours de Maurice Pialat. Spielberg a sans doute pensé à sa propre passion pour la Nouvelle Vague, et pour Truffaut en particulier, en couronnant triplement ce film. Et Kechiche admet avoir pensé à Antoine Doinel en indiquant dans le titre qu'il ne s'agissait que des deux premiers chapitres de l'histoire.
Le film est fidèle au roman graphique dont il s’est inspiré, Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh (2010), qui évoque l'initiation sentimentale d'une jeune fille du nord de la France, son histoire d'amour avec une étudiante un peu plus âgée qu'elle, leur longue relation et leur rupture. Kechiche en a repris la trame, en écartant la mort de l'héroïne qui transformait en tragédie le récit d'une passion. Surtout, il est fidèle à son propre itinéraire cinématographique.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
Classification
Média