LA VIE DE GALILÉE (mise en scène J.-F. Sivadier)
Au péril de la vérité
Traduit par Eloi Recoing, le texte est porté avec énergie par huit acteurs époustouflants de vigueur et de complicité, superbement physiques. À l’exception d’Éric Louis, le « petit moine », et de Lucie Valon, la fille de Galilée, la distribution reste celle de 2002 : Nadia Vonderheyden, Stephen Butel, Éric Guérin, Rachid Zanouda, Christophe Ratandra. Avec le temps, tous se révèlent davantage maîtres de leurs personnages, comme s’ils avaient secrètement mûri en eux pendant ces treize années. À commencer par Nicolas Bouchaud, qui, en reprenant le rôle de Galilée, lui apporte un surplus d’humanité. Digne d’un Charles Laughton, qui interpréta le rôle en 1947, il donne une insondable complexité à cet anti-héros, double de Brecht, intellectuel qui se voulait au service du peuple, mais resta coi face à la répression des émeutes berlinoises de 1953.
Il faut le voir danser, courir, bondir, s’ébrouer, le cheveu en bataille, fardé de blanc ou vêtu d’une toge romaine, couronné de lauriers, assujetti à la science comme d’autres le sont au jeu ou à la drogue, sacrifiant sans remords le bonheur de sa fille dont il brise le mariage par la poursuite de ses expériences. Il faut l’entendre se défendre, puis se soumettre face aux docteurs de l’Église qui, après l’avoir félicité, interdisent ses recherches. Car, s’il disait vrai, l’homme, « créature la plus parfaite et la plus aimée de Dieu », ne serait plus au centre de l’Univers, mais se verrait relégué dans ses marges ; l’ordre de la religion et de la société en serait chamboulé. Il faut enfin admirer Nicolas Bouchaud, l’œil gourmand et roué, trompant chacun et tout le monde – et peut-être lui-même –, prêt à se renier pour échapper à l’Inquisition et au bûcher, et continuer à savourer des oies rôties, tout en achevant en secret son Discours concernant deux sciences nouvelles.
Ponctuées d’extraits du Stabat Mater de Pergolèse, du Requiem et de La Force du destin de Verdi, les formules résonnent avec une acuité percutante : « On épuise la confiance à trop en abuser », « Malheureux le pays qui a n’a pas de héros ? Non, malheureux le pays qui a besoin de héros », « Penser est l’un des grands divertissements de l’homme ». Il ne s’agit pas là seulement d’une suite de vérités toujours bonnes à dire, même si elles ne le sont pas à entendre. C’est bien une pensée en mouvement permanent qui est donnée à voir, à vivre dans l’instant. Toute en force et en faiblesses. Pétrie de contradictions quand l’idéal de progrès, la foi en la connaissance et la raison se heurtent à l’arbitraire du pouvoir : l’Église aux xvie et xviie siècles, le Parti communiste au xxe siècle.
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
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Média