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LA VIE DE L'ARCHIPRÊTRE AVVAKUM, Petrovitch Avvakum Fiche de lecture

La Vie de l'archiprêtre Avvakum écrite par lui-même et sa dernière épître au tsar Alexis (1672) sont un extraordinaire document qui fait face d'un côté au Moyen Âge russe, dont ce texte est peut-être le dernier reflet, d'autre part au xxe siècle russe, dont il annonce les formes d'écriture les plus audacieuses. Avvakum (env. 1620-1682), le vaillant archiprêtre, ancêtre de tous les exilés russes, imprécateur que nul n'arriva à faire taire, et qui admonestait les puissants et les faibles, est le fondateur du mouvement schismatique de la « vieille foi », ou « raskolniki », opposé à la Russie orthodoxe officielle, et qui fut persécuté jusqu'en 1905.

En 1645 le jeune tsar Alexis, fils de Michel Romanov, accède au trône : il est entouré par un groupe d'amis fort pieux, désireux de réformer la Russie moralement autant que politiquement, et qui s'intitulaient eux-même « les amis de Dieu ». À leur tête, un jeune prêtre, Neronov, maître d'Avvakum (1620-1682). Réformer le culte, corriger les traductions des textes liturgiques, restaurer le sérieux de la vie chrétienne, tel est leur programme. En 1652 l'un des leurs, Nikon, monte sur le trône patriarcal. Mais la Russie n'était pas prête à devenir une nation chrétienne exemplaire. De plus le patriarche Nikon va bouleverser en deux ans toute la vie ecclésiale russe. Neronov dénonce alors l'hérésie. De son côté, Avvakum condamne les initiatives de Nikon et est envoyé en Sibérie. Il revient à Moscou en 1664. Mais son conflit avec le pouvoir continue, et il finit brûlé vif à Poustozersk en 1682, dans le nord de la Russie, après des années de captivité dans un trou glacial.

Rédigé dans sa première version en 1672, le manuscrit de La Vie, établi par des disciples, ne fut retrouvé qu'au milieu du xixe siècle, et mentionné dans une Histoire du schisme russe du vieux-ritualisme parue en 1854. Le texte même parut pour la première fois, et dans une édition très défectueuse, en 1861. La première édition satisfaisante date de 1879.

Une autobiographie mystique

Bien plus tard, depuis le goulag où il a été envoyé, André Siniavski se rappelle continûment Avvakum. Il écrit dans Une voix dans le chœur (1974) : « Comment se fait-il qu'il soit entré tant de choses dans la fosse du protopope Avvakum ? N'est-ce pas justement parce que c'était une fosse, un trou ? et qu'un trou, plus il est petit, plus il est exigu, plus il y entre de choses. » Et en effet, La Vie est un document surprenant. Comme dans la tradition médiévale, les présages, les prédictions des Écritures y jouent un grand rôle. Dieu déverse son ire sur la Russie et Avvakum est un mystique, transpercé de lumière, inondé par la Parole. Sa plainte contre le poids de sa mission est continuelle : que Dieu veuille l'en libérer. Mais Dieu ne s'y résout pas : « Gisant ainsi, je m'oubliai de moi-même. Je ne sais comment, je pleure, et les yeux de mon cœur sont sur la Volga. » Les visions sont brèves, mais étincelantes, communiquées à ses disciples, notées, transmises.

En Daourie, lors de sa première déportation, Avvakum est submergé par la violence du paysage. Il va peindre avec une grande force un des premiers panoramas de la littérature russe : « Oh ! le chagrin me prit ! Montagnes hautes, fourrés infranchissables ; un éperon de pierre droit comme un mur : à le regarder on se rompt la tête. Dans ses montagnes demeurent de grands serpents, il y gîte des oies et des canards au rouge plumage, des corbeaux noirs et des choucas gris... C'est dans ces montagnes que Pachkov voulait me chasser, pour habiter avec les bêtes, les serpents et les oiseaux. »

Si Avvakum n'a rien d'un géographe, il possède une superbe puissance d'évocation, et sait nous faire sentir les forces à l'œuvre dans le cosmos. Certes, il ploie sous le[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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