LA VIE DE LAZARILLO DE TORMÈS

L'invention du roman picaresque

Le style narratif, tantôt enjoué et candide, tantôt sarcastique ou amer, la vivacité et la complexité des portraits, le réalisme parfois brutal des péripéties, l'alacrité malicieuse de la narration donnent un vif attrait à ce récit parodique d'éducation, dont on a recherché les sources littéraires ou folkloriques. Autour de Lazarillo et de ses différents maîtres, dans le cours trajet qui le mène de Salamanque à Tolède, une évocation pittoresque de la société de l'époque est suggérée. Des parents minables de Lazarillo jusqu'au haut clergé de Tolède, des valets d'auberge à la grande noblesse, diverses mœurs sont évoquées d'une façon aussi animée que cynique. Les représentants du clergé sont les plus malmenés. Cet anticléricalisme, de tradition populaire, ne semble pas devoir être imputé à l'influence d'Érasme (1469-1536) qui a pénétré en Espagne. Quoi qu'il en soit, dès 1559, La Vie de Lazarillo de Tormesétait inclus dans le catalogue des livres interdits de l'Inquisiteur général Valdés. Le succès du livre était tel qu'une édition expurgée en fut publiée en 1573, alors que les versions intégrales se multipliaient à l'étranger. En 1555 une Seconde partie de Lazarillo de Tormès, anonyme, parut à Anvers, mais la sobriété malicieuse de la première version fait place à l'accumulation d'aventures extravagantes.

La Vie de Lazarillo de Tormès ouvre la lignée du roman picaresque, récit autobiographique et satirique d'un pícaro, sorte d'antihéros de basse extraction, qui lutte pour la vie dans un monde hostile. Le genre cependant n'éclôt vraiment qu'avec La Vida del pícaro Guzmán de Alfarache (1599 et 1604) de Mateo Alemán et La Vida del Buscón (1626) de Quevedo ; il se propagera dans la littérature européenne, notamment en France avec l'Histoire de Gil Blas de Santillane (1715-1735), de Lesage, ou, en Angleterre, avec Moll Flanders (1722) de Daniel Defoe.