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LA VIE DE MARIANNE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux Fiche de lecture

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763) fit paraître son roman, La Vie de Marianne, ou les Aventures de Madame la comtesse de ***, en livraisons successives, échelonnées entre 1731 et 1742. C'est dans ce même intervalle qu'il publie en volumes successifs Le Paysan parvenu (1734-1735) et Le Cabinet du philosophe, et qu'il fait jouer Le Triomphe de l'amour, Les Serments indiscrets, L'École des mères, La Mère confidente, Les Fausses Confidences, L'Épreuve. C'est dire que ce roman, qui resta inachevé, a marqué toute la seconde grande période créatrice de son auteur.

Un roman inachevé ?

L'éditeur fictif de cette histoire, affirme en tenir le manuscrit d'un ami qui en avait fait lui-même la découverte dans une maison récemment achetée. Le roman se présente sous forme épistolaire : l'héroïne, alors quinquagénaire, s'adresse à une amie à qui elle raconte l'histoire de sa vie. Marianne, dont nous ignorerons toujours le nom de famille, est une enfant trouvée lors de l'attaque d'un carrosse par des brigands. Tous les voyageurs ont été massacrés ; parmi eux deux femmes étrangères, maîtresse et suivante. Un bébé, Marianne, est la seule survivante. Au moment où elle écrit, Marianne est comtesse et connaît depuis une quinzaine d'années le secret de sa naissance. Nous n'en saurons pas plus sur ce chapitre. Notamment, nous ignorons si Marianne est devenue comtesse par la naissance ou du seul fait de son mariage. Est-ce parce que le roman est inachevé, ou parce que Marivaux n'a pas souhaité d'autre résolution de cette demi-énigme ?

Recueillie par un curé et par sa sœur, Marianne grandit à la campagne. À l'âge de quinze ans, elle accompagne à Paris sa protectrice qui y meurt, peu de temps avant son frère. Voici l'orpheline seule à Paris, mise en pension chez une marchande de linge par un dévot hypocrite. Mais Marianne est fière. Elle refuse tout emploi de domestique et se comporte comme si sa naissance n'était obscure que faute de reconnaissance publique. Elle rencontre un jeune homme noble, Valville, et c'est un double coup de foudre. Mais, immédiatement, Marianne est victime de nouveaux malheurs. Elle est obligée de se défendre des poursuites de son protecteur, Monsieur de Climal. Elle se réfugie dans un couvent où elle attire la sympathie maternelle d'une pieuse personne dont on va découvrir qu'il s'agit de la mère de Valville. Par la noblesse de son comportement, par sa beauté et son intelligence, Marianne surmonte peu à peu tous les obstacles qui la séparent du mariage. Elle va triompher lorsque Valville la trahit pour une autre pensionnaire du couvent, qui avait eu l'esprit de s'évanouir devant lui. On ne sait ce qui adviendra du roman d'amour de Marianne : les dernières parties du livre développent un récit à tiroirs, l'histoire de Tervire, une religieuse qui raconte ses malheurs à l'héroïne pour la détourner de prononcer des vœux. Ce long récit fait en plusieurs points écho à celui de Marianne. Le roman de Marivaux n'achève pas plus les aventures de Tervire que celles de Marianne.

L'originalité du roman est frappante. Sur un canevas traditionnel (l'orpheline persécutée), Marivaux broche une série de récits en miroir, imagine des personnages originaux et démultipliés tout à la fois. Le récit « primitif » – celui du mystère des origines de l'héroïne – est ainsi réitéré dans des circonstances et avec des intentions à chaque fois différentes. Les figures maternelles se reflètent à l'infini les unes les autres (Madame de Miran, Madame Dorsin, Madame Darcire, Madame de Tresle). Sans cesse, le récit offre des vues latérales sur d'autres virtualités romanesques, selon un décentrement des perspectives qui rappelle l'esthétique décorative dans le goût « rocaille ».[...]

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  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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