LA VIE DEVANT SOI, Romain Gary Fiche de lecture
Paru au Mercure de Franceen septembre 1975, La Vie devant soi est, après Gros-Câlin (1974), le deuxième roman de Roman Kacew, dit Romain Gary (1914-1980), publié sous le pseudonyme d'Émile Ajar. C'est dissimulé sous ce nom d'emprunt que l'auteur obtient, contre les règles en usage, le prix Goncourt pour la seconde fois, après celui décerné pour Les Racines du ciel, en 1956. Si cette supercherie éditoriale, qui ne sera révélée que cinq ans plus tard, à la mort de Gary, a contribué à assurer la célébrité et la postérité du roman, celui-ci n'en a pas moins été reconnu pour ses qualités propres. Il a été adapté au cinéma – la première fois en 1977 par Moshé Mizrahi, avec Simone Signoret (oscar du meilleur film en langue étrangère), la seconde en 2020 par Edoardo Ponti, avec Sophia Loren – ainsi qu’au théâtre, en 2007, dans une mise en scène de Didier Long, avec Myriam Boyer.
Les nouveaux Misérables
Mohammed, dit Momo, un jeune garçon arabe de dix ans (qui se révélera en avoir en réalité quatorze), raconte sa vie à Paris, dans le quartier de Belleville, au sein d'une pension clandestine pour enfants de prostituées tenue par Madame Rosa, une femme juive d'une soixantaine d'années, rescapée d'Auschwitz et elle-même ancienne prostituée. Le récit de Momo fait vivre un monde de bas-fonds cosmopolites où cohabitent des personnages hauts en couleur, tels Monsieur Hamil, le marchand de tapis, lecteur de Victor Hugo, Madame Lola, ancien boxeur devenu travestie au bois de Boulogne, ou encore Monsieur Waloumba, éboueur et cracheur de feu. Usée, malade, trop corpulente pour descendre et monter les six étages de l'immeuble, Madame Rosa survit tant bien que mal grâce aux maigres subsides que lui versent, à intervalles irréguliers, les mères des enfants – de moins en moins nombreux –, et à l'aide de ses voisins, immigrés pour la plupart.
Souffrant de voir sa mère adoptive vieillissante atteinte de « sénilité et de sclérose cérébrale » – elle revit dans des moments de délires des épisodes de sa vie de prostituée ou son arrestation par les Allemands –, Momo s'évade en marchant sans but dans Paris, commettant à l'occasion de petits larcins. Au cours de l'une de ces errances, il fait la connaissance d'une femme, prénommée Nadine, dont l'activité de doubleuse de films le fascine. Nadine se prend d'affection pour le jeune garçon, l'invite chez elle, dans son grand appartement de la rue Saint-Honoré où elle vit avec son mari, Ramon, pédiatre, et leurs deux enfants.
Un jour, un homme sonne à la porte de la pension et se présente comme le père de Mohammed. Il explique avoir tué jadis sa femme (la mère de Momo), après avoir appris qu'elle se prostituait, puis avoir confié à l'époque son fils à Madame Rosa. Interné en hôpital psychiatrique durant toutes ces années – quatorze et non pas dix, comme le pensait Momo –, il vient à présent récupérer l'enfant.
Terrifiée à l'idée de le perdre, Madame Rosa fait croire au père que son fils est en fait Moïse, un autre pensionnaire, qu'elle a élevé comme un bon juif. Sous le choc, l’homme meurt d'une crise cardiaque, au grand soulagement de Momo. Cependant, l'état de Madame Rosa ne cesse d'empirer. Refusant de se faire hospitaliser, elle préfère se réfugier dans son « trou juif », un petit espace qu'elle s'est aménagé dans la cave de l'immeuble. C'est dans ce réduit misérable qu'elle finit par mourir, toujours accompagnée de Momo, qui restera longtemps auprès du cadavre, avant d'être retrouvé à cause de l'odeur, et confié à Nadine et Ramon, les destinataires de ce récit.
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
Média