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LA VISITE DE LA VIEILLE DAME, Friedrich Dürrenmatt Fiche de lecture

Une « comédie noire »

C'est en virtuose que Dürrenmatt joue ici des codes de la représentation et des contraintes du genre, s'ingéniant à les soumettre au révélateur d'une théâtralité appuyée, mais débarrassée des ressorts de toute illusion.

Les changements de lieux s'opèrent ici à vue. Le chœur des habitants commentant, à l'ouverture de la pièce, le passage des trains, se verra destiné un peu plus tard à camper le décor de la forêt, arbres, chants d'oiseaux, ou animaux sauvages. L'épisode de l'arrivée de Claire met pour sa part à profit un art consommé du rythme et de la charge satirique, et s'apparente de la sorte au gag : claire zahanassian. « C'est bien Güllen ? » le chef de train (essoufflé). « Madame, vous avez tiré la sonnette d'alarme. » claire zahanassian. « Je tire toujours les sonnettes d'alarme. » le chef de train. « Je proteste énergiquement ! Dans ce pays, on ne tire jamais la sonnette d'alarme, même en cas d'alarme. Le respect de l'horaire est le premier de nos principes. Puis-je vous demander une explication ? » claire zahanassian. « Nous sommes bien à Güllen, Moby. Je reconnais ce triste trou. Là-bas, la forêt de l'Ermitage avec le ruisseau où tu pourras pêcher tes truites et tes brochets ; à droite, le toit de la grange à Colas. »

Durrenmatt, fossoyeur acharné de la tragédie, lui oppose ici ce que Philippe Ivernel nomme une « comédie noire », à valeur ambiguë. L'outrance des situations, le grotesque des caractères, maintiennent à distance le dispositif tragique que l'œuvre semble esquisser. On reconnaît certes, à travers le personnage féminin, et la radicalité absolue de sa revendication, la figure d'une Médée. Sans compter que la mort d'Alfred Ill, devenu une figure héroïque, contribue à la dénonciation d'une corruption sociale endémique. Rien ne semble résister à l'ironie universelle du dramaturge, jusqu'à ce qu'un fatum en vienne à chasser l'autre : l'entrée de Güllen dans l'ère enfiévrée de la consommation à crédit signe la perte du champion que la communauté avait d'abord élu. Et c'est sous l'œil de la presse que s'organise le procès d'Alfred Ill. Quant au chœur unanime qui clôt la pièce et glorifie la prospérité retrouvée, il conclut la parabole sous le signe d'une négation sans issue, d'un devenir historique dont il semble à jamais vain de prétendre infléchir le cours.

— David LESCOT

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

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