LA ZONE D'INTÉRÊT (J. Glazer)
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Jonathan Glazer présente en 2023 La Zone d’intérêt, son quatrième long-métrage, dix ans après Under the Skin (2013) qui marqua la consécration du cinéaste britannique. Le dispositif de La Zone d’intérêt consiste à se focaliser sur le quotidien d’une famille, dont le père, Rudolf Höss (Christian Friedel), n’est autre que le commandant du camp d'Auschwitz-Birkenau. Sa femme, Hedwig (Sandra Hüller), se plaît à tenir cette maison, dans laquelle elle trouve un « paradis ». Seul un mur de béton les sépare de l’enfer concentrationnaire, que l’on ne verra jamais. Tourné à Auschwitz même et en langue allemande, le film a reçu le grand prix du jury au festival de Cannes 2023.
Le « hors-camp »
À la fois partout et nulle part, le camp est presque aussi central qu’anecdotique. Jamais on ne franchira le mur qui en marque l’entrée. On reste cantonné à cette « zone d’intérêt », qui désignait le périmètre de 40 kilomètres carrés au-delà du camp où se situaient la résidence de fonction et le jardin de Höss et de sa famille. Il s’agit également du titre éponyme du roman de l’écrivain britannique Martin Amis, que Glazer adapte ici de manière très personnelle.
La mise en scène est statique, sans être jamais inerte. On ne contemple pas, dans la position confortable de celui qui se trouverait du bon côté, d’étranges créatures en train d’évoluer derrière une vitre. Avec une apparente froideur, la caméra campe en fait de réelles – et risquées – positions. Certaines scènes vont très loin dans l’ironie macabre, au plus près parfois de la complaisance morbide.
Le mur pourrait être une œillère pour nous, comme il l’est pour Hedwig Höss qui y fait pousser des plantes grimpantes, « pour le masquer ». Néanmoins, le cadrage est impitoyable et les plans larges nous obligent à voir les cheminées crachant le feu et les toits des baraquements au-delà des barbelés. On doit cette image d’une grande force au photographe polonais Łukasz Żal, dont on avait déjà notamment pu apprécier la qualité des noirs et blancs dans Ida (2013) et Cold War (2018) de Paweł Pawlikowski. Dans La Zone d’intérêt, les couleurs sont délavées et ponctuellement intenses, à la manière des images d’archives colorisées.
Mais l’élément central, puisque la vue du camp fait ici défaut, c’est le son. Le designer sonore Johnnie Burn s’est associé avec la musicienne Mica Levi pour que l’horreur reste omniprésente. Tous deux imposent le bruit sourd et continu qui accompagne le film du début à la fin, celui du ronronnement des fours, jour et nuit, mais aussi le roulement des trains, les aboiements des chiens et les cris des prisonniers.
Le parti pris du « hors-camp » choisi par Jonathan Glazer apporte ainsi une possible réponse à l’éternelle question de ce qu’il est tolérable de montrer de la Shoah. Selon le cinéaste et écrivain Claude Lanzmann, toute représentation est une forme de sacrilège moral. Le dispositif de Glazer contourne habilement les interdits tout en conservant la puissance d’impact nécessaire à un travail de mémoire.
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Écrit par
- Manon DURAND : rédactrice à L'Avant-scène cinéma
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