LAÏCITÉ
À l'époque où l'anglais est devenu la langue internationale, un terme français résiste à toute anglicisation, c'est celui de « laïcité ». Certains en tirent argument pour affirmer que la laïcité est une « exception française ». Peut-être est-il plus exact d'écrire que la laïcité est une « invention française », ignorée par certains pays, plus ou moins bien acclimatée dans d'autres ? Mais, curieusement, si l'histoire des religions s'est beaucoup développée depuis le xixe siècle, celle de la laïcité reste encore assez largement à écrire. En outre, et ceci explique sans doute en partie cela, plusieurs conceptions différentes de la laïcité s'affrontent encore aujourd'hui, si bien que la définition d'une « vraie laïcité » reste toujours, en France comme ailleurs, un enjeu social.
La laïcité « à la française » : histoire et idéologie
La Révolution, entre « religion civile » et laïcisation
Dans la société de chrétienté, le problème du pouvoir était abordé, de façon dominante, sous l'angle des rapports distincts mais non séparés du spirituel et du temporel. Au cours des siècles, le temporel l'a de plus en plus emporté mais sans que le cadre institutionnel et socioculturel soit fondamentalement transformé. Ainsi, le roi de France est « le lieutenant de Dieu sur terre ». Sacré à Reims par l'archevêque de la ville, il reçoit alors l'onction et prête serment de défendre l'Église catholique et sa foi.
L'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen opère un renversement complet du fondement du pouvoir en affirmant : « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». Naturellement, ce nouveau principe n'est pas élaboré ex nihilo par les constituants. Dès le Moyen Âge, certaines théories religieuses insistaient sur la médiation du « peuple » et sur son contrat implicite avec le souverain. Du xvie au xviiie siècle, théologies puis philosophies du politique avaient enrichi et sécularisé cette conception. On connaît l'impact de l'ouvrage de Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social. Son influence sur les constituants se marque non seulement dans cet article 3 mais dans les projets d'articles sur la religion qui substituent à la problématique des rapports du temporel et du spirituel celle de la « religion civile ». Avec cette dernière, Rousseau cherchait à concilier deux facteurs : la tolérance religieuse qui devait permettre de faire coexister plusieurs « religions positives » comportant chacune ses doctrines spécifiques et la nécessité de « dogmes élémentaires » (l'existence d'une divinité, la vie après la mort, la « sainteté » des lois, etc.), dogmes qui s'imposent car ils assurent son fondement à la morale commune indispensable au lien social.
Les États-Unis d'Amérique feront socialement coexister la liberté religieuse (et même, dès 1791, un certain type de séparation des Églises et de l'État) et l'existence d'une religion civile (qui perdure encore aujourd'hui). La France révolutionnaire et postrévolutionnaire ne pourra pas, malgré diverses tentatives, réaliser cette coexistence, et, à travers de multiples tâtonnements, des conflits et des compromis, elle inventera une solution différente : la laïcité.
Schématiquement, en effet, le pluralisme religieux américain permettait une dissociation entre la religion civile, qui contribue à fonder la morale commune, et les diverses « religions positives », essentiellement les multiples « dénominations » protestantes dont chacune n'avait plus (en général) l'idée d'être une Église exclusive mais se voulait une manifestation[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean BAUBÉROT : directeur d'études émérite du groupe Sociétés, religions, laïcités au C.N.R.S.
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
Autres références
-
LAÏCITÉ, notion de
- Écrit par Émile POULAT
- 1 322 mots
Qu'est-ce que la laïcité ? Un mot abstrait et tardif (encore considéré en France comme un néologisme en 1911, il ne figure dans aucune des « lois laïques » votées entre 1880 et 1905), un processus historique dans la longue durée, un cadre juridique et administratif, une réalité complexe et parfois même...
-
ANTICLÉRICALISME
- Écrit par René RÉMOND
- 3 485 mots
On se gardera de confondre l'anticléricalisme avec des notions voisines pareillement exprimées en termes négatifs. L' athéisme nie l'existence de Dieu, l'anticléricalisme suspend son jugement. Il peut tout aussi bien s'allier à une négation métaphysique (dans le cas du socialisme marxiste)...
-
ATATÜRK MUSTAFA KEMAL (1881-1938)
- Écrit par Robert MANTRAN
- 4 151 mots
- 3 médias
Des oppositions, il n'en a pas manqué, en particulier dans les premiers temps de la République turque.Ce sont d'abord les lois sur l'abolition du califat, la suppression des tribunaux religieux et des écoles religieuses, lois promulguées en 1924, qui ont provoqué les réactions des éléments conservateurs... -
CATHOLICISME - Le catholicisme contemporain
- Écrit par Paul THIBAUD
- 3 355 mots
- 1 média
...référence au christianisme tend dans une certaine mesure à redevenir un « lieu commun » dans la société française. Sans qu'on s'en aperçoive beaucoup, la laïcité de l'État républicain a été peu à peu infléchie dans un sens qui fait sa part à une sorte d'identité chrétienne supposée commune à tous les... -
CINQUIÈME RÉPUBLIQUE - Les années Mitterrand (1981-1995)
- Écrit par Pierre BRÉCHON
- 7 342 mots
- 7 médias
...l'extrême droite et la droite sont assez généralement favorables à cette interdiction, la gauche se trouve beaucoup plus divisée entre des tenants de la laïcité républicaine et certaines féministes opposées au voile, d'une part, et des adeptes de la tolérance à l'égard des communautés ethno-religieuses,... - Afficher les 23 références