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LAÏCITÉ

Les États contemporains et la laïcité

Laïcité de l'État : cette expression nous est familière. Elle sonne comme une évidence et presque un truisme. Pourtant, elle n'a de sens qu'en référence à une longue lutte historique, où s'est effacée de son champ l'institution qui lui faisait obstacle. Nous sommes ici en contexte chrétien, dans la vieille problématique du couple Église-État dont la loi de 1905, en France, a proclamé la séparation.

Nous sommes aussi devant une formulation récente de cette problématique. Il fallait qu'existât le mot laïcité, apparu dans les années 1870-1875 et encore donné comme un néologisme en 1911 par Ferdinand Buisson. Le mot État lui-même, tel que nous l'entendons, est d'usage moderne, propre à la culture germano-latine, pétrie de droit romain, périphérique dans la culture anglo-saxonne, plus attachée à l'idée de « gouvernement central » (central government). La loi de 1905 elle-même met en première ligne la République, à ses trois niveaux : l'État, les départements et les communes. En 1815, la Sainte-Alliance liait des monarques, non des États. Sous l'Ancien Régime, on parlait du royaume de France, dont l'État était l'appareil administratif, à la main du roi. En 1789, la Révolution s'est faite au nom de la nation. En droit international, les traités se concluaient entre souverains ou entre puissances. Aujourd'hui, l'Organisation des Nations unies (O.N.U.) a remplacé la Société des nations (S.D.N.).

La logique étatique

La notion d'État renvoie à un ensemble de trois réalités qui lui sont antérieures : une population, un territoire et un gouvernement. Ses frontières fixent les limites de sa juridiction et l'obligent à des rapports de voisinage, c'est-à-dire, de proche en proche, à un ordre international. La souveraineté du pays est liée à son indépendance, tandis que l'exercice de cette souveraineté est définie par sa Constitution. L'État souverain représente au-dehors la souveraineté du peuple ou de la nation sur lesquels il exerce son autorité. Au-dedans, il garantit et applique la loi du pays. Est-il le maître absolu de cette loi ou celle-ci est-elle soumise à un ordre supérieur ? C'est ici que s'est jouée la question de sa laïcité.

Cette question ne pouvait guère se poser avant l'ère chrétienne. La religion faisait partie des données naturelles : royauté sacrée, cultes civiques, trifonctionnalité indo-européenne, tout reposait sur une sacralisation de la vie sociale. Le christianisme a inversé ce rapport. Désormais, on va distinguer le sacerdoce et l'Empire, le spirituel et le temporel, l'ecclésiastique et le civil, c'est-à-dire les deux pouvoirs, les deux règnes, voire les deux glaives. La domination de l'État s'est ainsi affirmée dans son opposition à l'autorité de l'Église. Dans la tradition catholique, il a un nom, César, tandis que Hobbes en fera Léviathan, un des monstres bibliques.

De son côté, cette domination se trouvera contestée, dans un esprit libéral, par la réflexion politique de juristes et de philosophes qui se réclament des Lumières. Au rapport du pouvoir avec la religion succède son rapport à la raison, qui n'est pas meilleur : la raison d'État, est-ce encore l'État de la raison ? On le constate vite : il n'obéit pas plus à une logique libérale qu'à une logique chrétienne. Sa loi fondamentale est de s'établir, de s'imposer, de s'étendre. Certes, on ne confondra pas monarchie absolue, despotisme éclairé, régime autoritaire, idéologie totalitaire. Mais, si l'on peut aujourd'hui parler d'État libéral, c'est pour trois raisons qui n'ont guère à voir avec le plus ou moins d'État, ni avec l'alternative État fort – État faible ou État provident – État subsidiaire :[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études émérite du groupe Sociétés, religions, laïcités au C.N.R.S.
  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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Laïcité - crédits : AKG-images

Laïcité

Signes religieux à l'école - crédits : Cesar Manso/ AFP

Signes religieux à l'école

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