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LAMENTATION, genre littéraire

Composition par laquelle le poète met en forme le topos du regret et du deuil à l'occasion d'un départ, d'une mort ou d'une calamité publique. Qu'il parle en son nom ou au nom de la communauté entière, il doit convertir l'émotion en mots, sans cesse renouvelés et cependant conformes à la tradition, car la douleur, elle, est toujours identique à elle-même. Cette « habitude poétique » (P. Zumthor) engendre ainsi une poésie de circonstance. La plus ancienne de ces poésie se trouve dans un texte sumérien : la destruction de la cité d'Ur, à l'époque de la IIIe dynastie (vers ~ 2000) y est déplorée. Les Lamentations attribuées à Jérémie évoquent, dans une forme fixe qui met en acrostiche l'alphabet hébreu, la dévastation de Jérusalem. Un certain nombre de constantes des Lamentations étaient déjà présentes dans L'Iliade. Ces deux textes vont fournir le modèle de toute une littérature funèbre à venir. Toutes les modalités de l'expression de la douleur s'y rencontrent, depuis la description du gestuel de celui qui porte le deuil (« De la poudre brûlée en ses mains il prenait, / L'espandait sur son chef : des coups il se donnait », vers 23-24 du chant XVIII de L'Iliade) en passant par les mots rapportés soit en discours direct, soit intégrés dans un cadre narratif, en discours indirect, jusqu'à la mise en scène des aèdes. Ceux-ci étaient, dans l'Antiquité, des chroniqueurs et pleureurs professionnels, qui chantaient des thrènes aux funérailles. Les thrènes de caractère religieux composés par Pindare sont célèbres. Les vocératrices en Corse continuent la tradition, elles exécutent le vocero. Chez les Romains, le genre de la lamentation s'appelle nénie.

Les planctus latins de l'époque carolingienne, tels que Déploration sur la mort de Charlemagne, écrit en 814 par un moine de Bobbio, sont bâtis selon un « schéma rigide ». Caroline Cohen a répertorié leurs « thèmes typiques » ; ceux-ci sont pratiquement identiques aux motifs contenus dans les planctus des chansons de geste : l'invitation à la plainte, le lignage du défunt et sa patrie, l'énumération et la description des pays et des personnes en deuil, l'éloge du défunt, le deuil de la nature, la description du cadavre, la prière. Les planctus du haut Moyen Âge influencèrent les poésies nationales naissantes : la séquence de Geoffroy de Breteuil qui commence par les mots « Planctus ante nescia » devient le modèle du premier poème lyrique hongrois, la Complainte de Marie. Dans la littérature occitane, cette influence capitale est à l'origine du planh. Le plus ancien qui nous soit parvenu a été composé par Cercamon à la mort de Guillaume X d'Aquitaine, en 1137. On avait l'habitude de rapprocher le planh du sirventès, car ils traitent tous les deux de l'actualité politique et avec la même mélodie musicale : ainsi pour le planh du jongleur Gaucelm Faidit, écrit à l'occasion de la mort de Richard Cœur de Lion, en 1199. Cependant, le très beau planh de Gavaudan a pour sujet la mort de la bien-aimée. Dans le planctus latin et à travers la lamentation des personnages bibliques, Abélard sut exprimer sa douleur.

Certains auteurs n'empruntent que le ton de la lamentation. Ils ne relatent pas la mort de quelqu'un, mais leurs propres malheurs. Les figures qui apparaissent par exemple dans la Complainte de Rutebeuf ne font que contribuer à sa déchéance. Il ne s'agit pas de célébrer le souvenir de l'époux de Christine de Pizan dans le poème dont chaque vers commence par « Seulette suy », alors que les Congés de Jehan Bodel sont destinés à commémorer la « mort » de celui qui ira s'enterrer vivant dans une léproserie, à savoir l'auteur lui-même. La volonté de sauvegarder la mémoire de quelqu'un caractérise[...]

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