LANCELOT-GRAAL
Le titre moderne de Lancelot-Graal désigne un cycle de cinq romans arthuriens en prose : L'Histoire du Saint-Graal, L'Histoire de Merlin, Le Lancelot en prose, La Quête du Saint-Graal, La Mort du roi Arthur. Le noyau le plus ancien est la trilogie formée par Lancelot, la Quête, et la Mort du roi Arthur, composée vers 1225-1230. Les deux autres textes ont été écrits ultérieurement pour dire les origines du Graal – ce vase où Jésus consacra le vin lors de la Cène, et qui recueillit le sang versé sur la croix – puis relater l'histoire de Merlin, expliciter son rôle dans la fondation du royaume arthurien, une Suite contant les guerres menées par le jeune Arthur contre ses barons.
En organisant chronologiquement le cycle dans les manuscrits, copistes et remanieurs ont tenté d'imposer une logique de lecture qui mime le parcours du Graal et l'histoire du monde arthurien, de sa naissance à sa disparition. Ces récits ayant été composés par des auteurs différents, la variété d'esprit, d'inspiration et de mode d'écriture prévaut sur l'unité.
Le monde arthurien
Reprenant le personnage de Lancelot au Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes, le Lancelot en prose développe la biographie de son héros, enlevé par la fée Viviane (la Dame du Lac) qui le destine à devenir le meilleur chevalier du monde. À la cour d'Arthur, le jeune homme tombe amoureux fou de la reine Guenièvre. Grâce à la valeur guerrière que lui inspire cet amour, il mène à bien d'innombrables aventures qui ont pour fonction essentielle de libérer le monde arthurien des manifestations du Mal. Ainsi de l'aventure initiale, la libération du château de la Douloureuse Garde (qui devient la Joyeuse Garde), conquis au nom de la reine et où le héros découvre son nom et sa double filiation : Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc.
Le récit se construit selon la technique de l'entrelacement, qui sera prépondérante dans le roman arthurien en prose. Témoignant de la maîtrise de l'écrivain dans le déroulement du récit, cette technique creuse et élargit l'espace-temps romanesque en multipliant personnages et foyers de l'action. L'errance toujours recommencée de Lancelot et de ses compagnons, les chevaliers de la Table ronde, est à la fois la loi de l'aventure chevaleresque et la règle imposée à l'amant pour qu'il reste un être de désir. Magnifier la passion vécue sur le mode de l'absence et conçue comme source vive de la prouesse chevaleresque, c'est aussi parvenir à concilier la liaison adultère du héros et les normes religieuses, morales et sociales : Arthur ignore tout des amours du chevalier et de la reine, et la prouesse de l'amant sert au mieux les intérêts du royaume. Coupable du péché de luxure, le meilleur chevalier du monde ne peut cependant être l'élu de la quête du Graal, mission dévolue au fils qu'il a eu de la fille du Roi Pêcheur (le gardien du Graal), Galaad le vierge.
En rupture avec l'esprit du Lancelot, La Quête du Saint-Graal inaugure une démarche singulière : il s'agit de faire du texte arthurien le support d'une exégèse dont les médiateurs sont les ermites et dont l'enjeu immédiat est de « moraliser » la chevalerie. L'aventure chevaleresque devient une semblance (une allégorie) qui renvoie à une senefiance, un sens caché donnant lieu à un commentaire et explicitant la lutte du Bien contre le Mal. D'autres aventures, réservées aux élus (Galaad, Perceval, Bohort et, loin derrière, Lancelot), sont les manifestations des grands mystères de la Foi. Mais seul Galaad peut soulever le voile qui masque le Graal et accéder à la vision totale avant de mourir. On peut lire La Quête comme un nouvel évangile de la chevalerie, qui condamne l'orgueil et la luxure, péchés capitaux de la classe chevaleresque[...]
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Écrit par
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média