LAND ART
Au début des années 1960, une tendance de l'art américain, mais aussi européen, va mettre de plus en plus l'accent sur l'utilisation des matériaux naturels, la terre, l'eau ou l'air, qui manifestent le processus à l'œuvre et impliquent du même coup une nouvelle conception de la durée dans l'art. Corrélativement, l'attention des artistes, des sculpteurs mais aussi des peintres, se porte sur l'exploration de nouveaux espaces en dehors de ceux qui sont traditionnellement réservés à l'art, ce qui va progressivement les amener à s'interroger sur leur environnement et à s'intéresser aux sites naturels. Cette attitude, qui découle logiquement de recherches plastiques et conceptuelles, va de pair avec une contestation politique du marché de l'art et des lieux traditionnels d'exposition.
Robert Morris, en 1961, produit sa première sculpture minimaliste au Living Theatre à l'occasion d'une performance organisée par La Monte Young et destinée en partie à financer l'anthologie que ce dernier fera paraître en 1963. C'est dans cette même anthologie que Walter De Maria publiera, parmi d'autres textes programmatiques, Artyard, daté de 1960, où il propose la création d'un « chantier d'art » qu'il imagine comme un vaste trou dont l'excavation serait l'art lui-même. En fait, parallèlement aux minimalistes, dont Morris fait partie pendant un temps et dont De Maria, Oppenheim ou Robert Smithson (ce dernier participera à l'exposition Primary Structure en 1966 au Jewish Museum) semblent proches sur le plan formel, ces artistes vont s'interroger sur la capacité des musées ou des galeries à pouvoir montrer ces nouvelles formes d'art, qui de sculpture n'ont peut-être plus que le nom et qu'il faut englober dans ce que la critique d'art américaine Rosalind Krauss a appelé un « champ élargi ». Ce champ, selon cette dernière, devrait intégrer des paramètres comme le paysage et l'architecture qui, diversement combinés, permettraient de reconsidérer la notion de site et de sculpture. Citons parmi les artistes de cette combinatoire non seulement ceux que l'on connaîtra bientôt sous le nom de land artists, mais également d'autres comme Richard Serra, Alice Aycock, Mary Miss, Charles Simonds, George Trakas, Robert Irwin, Hamish Fulton.
Il est vrai que la question du site va être centrale pour ces artistes dont les objets entretiennent avec ce qui les environne des relations complexes qu'il faut prendre en compte pour en apprécier la nature. Les « sculptures » de Donald Judd, Carl André ou Robert Morris manifestaient un rapport spécifique à leurs lieux d'exposition. Si bien que, dès 1966, réfléchissant à ce rapport dans Notes on Sculpture II, Morris posait la question : « Pourquoi ne pas mettre l'œuvre à l'extérieur et modifier un peu plus les termes du rapport ? Un réel besoin se fait sentir de franchir cette nouvelle étape. » C'est ce passage qu'effectueront certains artistes américains dont les œuvres, en participant à ce que le critique Harold Rosenberg appelait la « dé-définition » de l'art, vont faire l'objet d'appellations variées comme art total, art écologique, art environnemental, etc.
Le corps mis en jeu, le processus
Au début des années 1960, on assiste à un décloisonnement des arts. Les Happenings d'Allan Kaprow et les Events de Fluxus redistribuent les lignes de partage entre spectateurs et acteurs, produisant ainsi de nouveaux espaces artistiques et sollicitant la collaboration des arts de la scène et du spectacle vivant aussi bien que de la musique ou des arts plastiques, de la poésie ou du cinéma expérimental. La séance au Black Mountain College (Caroline du Nord) en 1952 avec John Cage, Merce Cunningham, Charles Olson, Robert Rauschenberg[...]
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Écrit par
- Gilles A. TIBERGHIEN : agrégé de philosophie, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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