LAND GRABBING ou ACCAPAREMENT DE TERRES AGRICOLES
Acteurs et modalités des prises de contrôle d'actifs agricoles à l'étranger
Fonds d'investissement et firmes privées
Certains agents économiques attendent de leurs investissements des bénéfices à court terme réalisés sur la vente des productions agricoles, elles-mêmes obtenues grâce à des coûts de production d'autant plus bas que les prix du foncier et de la main-d'œuvre agricole le sont. Parmi ces agents économiques figurent des groupes financiers tels que l'américain Morgan Stanley, qui a acheté des dizaines de milliers d'hectares en Ukraine, ou la société new-yorkaise BlackRock Inc., l'un des leaders mondiaux de la gestion d'investissements, dans laquelle la Chine vient d'ailleurs de prendre une participation importante. On trouve également des conglomérats industriels et commerciaux comme les japonais Asahi, Itochu, Sumitomo ou Mitsui, ce dernier ayant acheté, en 2007, 100 000 hectares de terres agricoles au Brésil pour la production de soja par l'intermédiaire du négociant en céréales brésilien Multigrain S.A. dans lequel il a une importante participation (près de 40 p. 100) ; enfin, des « agroholdings » davantage spécialisés dans ce genre d'opérations, tels que le groupe suédois Black Earth Farming ou la société britannique Landkom, ont pris le contrôle de centaines de milliers d'hectares dans la zone des « terres noires » du sud de la Russie et de l'Ukraine, appartenant à la « Zernovoï Belt » – « ceinture du grain » – qui est redevenue l'une des plus grandes zones exportatrices de blé de la planète deux décennies après l'effondrement du système soviétique (tabl. 1 et 2).
Ces investissements largement spéculatifs ne sont toutefois pas sans risques : l'effondrement brutal du cours du blé dans la seconde moitié de 2008 a été à l'origine d'une perte, pour Landkom, de 50 millions de dollars pour son exercice 2009. Le groupe a dû abandonner la location de plus de 100 000 hectares de terres (en Ukraine) pour n'en exploiter plus que 50 000. En 2010, les récoltes ont été très fortement affectées par une sévère sécheresse en Russie méridionale, laquelle a entraîné l'imposition d'un embargo sur les exportations russes de blé. Malgré ces risques climatiques et ceux qui sont liés à des législations foncières et à un environnement économique comportant encore bien des incertitudes (absence de véritable marché foncier, fiscalité instable, règles commerciales floues...), des groupes céréaliers français sont également présents en Ukraine, tels que l'agroholding Agrogénération de Charles Beigbeder et des entreprises françaises productrices d'orge de brasserie comme Malteurop, filiale de la puissante coopérative Champagne Céréales, ou la société Soufflet. Quant aux « géants du grain », les grandes entreprises du négoce international des céréales telles que Cargill, Louis Dreyfus, Bunge, elles sont de plus en plus présentes dans cette « Zernovoï Belt », située au nord de la mer Noire.
En Afrique méridionale, l'African Land Fund, contrôlé par la société sud-africaine Grainvest, qui appartient au fonds d'investissement britannique Emergent Asset Management, développe des productions agricoles dans divers pays situés au nord de l'Afrique du Sud, grâce à l'excellente connaissance des réalités africaines par les descendants d'Afrikaners.
Fonds souverains et investissements d'État
Il est toutefois important de préciser que bon nombre de fonds privés sont en réalité des fonds d'État. Il en est ainsi de la firme chinoise China National Cereals Oils and Foodstuffs Import and Export Corporation, dont les cadres sont payés par le gouvernement de Pékin et dont les cadres exécutifs ont même le rang de ministres, c'est-à-dire qu'ils participent aux décisions gouvernementales.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Paul CHARVET : professeur émérite à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, membre de l'Académie d'agriculture de France
Classification
Médias
Autres références
-
AGRICULTURE - Histoire des agricultures depuis le XXe siècle
- Écrit par Marcel MAZOYER et Laurence ROUDART
- 9 998 mots
- 2 médias
...population. Les dédommagements sont rares et, quand ils existent, sont faibles par rapport aux préjudices subis et interviennent plusieurs années après coup. C'est pourquoi le terme « d'accaparement » est couramment utilisé pour qualifier ces transactions. Selon la Coalition internationale pour l'accès à la... -
AGRICULTURE DURABLE
- Écrit par Jean-Paul CHARVET
- 5 444 mots
- 10 médias
...hostiles, entre autres, aux plantes génétiquement modifiées (P.G.M.), pour des raisons éthiques et parce que leur culture nécessite moins de main-d’œuvre, ainsi qu’au développement du landgrabbing, c’est-à-dire de l’accaparement de terres agricoles par de grandes entreprises agricoles étrangères au détriment... -
ESPACE RURAL
- Écrit par Jean-Paul CHARVET
- 7 337 mots
- 8 médias
Concernant les premières – à l’échelle mondiale –, le phénomène le plus marquant est l’accaparement de terres agricoles paysannes par de puissantes entreprises transnationales – ou land grabbing. Depuis les années 2000 surtout, certains États cherchent à assurer leur sécurité et leur... -
SOUDAN DU SUD
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Alain GASCON et Roland MARCHAL
- 8 098 mots
- 4 médias
...» réclament le monopole de l'accès aux ressources de la terre et du sous-sol pour les élites locales afin de les « concéder » à des groupes étrangers (phénomène du land grabbing). Ainsi la firme nord-américaine Nile Trading Development Inc.a-t-elle acquis un bail de quarante-neuf ans sur 600 000...