LAND GRABBING ou ACCAPAREMENT DE TERRES AGRICOLES
Risques et opportunités liés aux investissements étrangers dans le domaine agricole
Des risques pour tous mais surtout pour les pays cibles
Les risques qui concernent les investisseurs tiennent à la volatilité des marchés internationaux et aux pertes considérables qu'ils peuvent engendrer. Ils sont également liés aux législations économiques et foncières locales, en particulier en Afrique où les espaces agricoles sont encore rarement cadastrés, sans parler des incertitudes politiques et géopolitiques. Une agence financière dépendant directement de la Banque mondiale – la Multilateral Investment Guarantee Agency – a pour fonction d'assurer les opérations de land grabbing contre les risques d'instabilité politique ; c'est ce qu'elle a fait en 2010 pour le Mozambique, la Zambie et le Botswana.
En fait, les inconvénients de ces acquisitions de terres touchent de façon bien plus vitale les pays cibles. Ces concessions, qui peuvent porter sur des centaines de milliers d'hectares, ne vont pas sans rappeler ce qui s'est passé à l'époque coloniale avec la constitution d'immenses plantations dans le monde tropical. Lorsque les législations foncières ne sont pas assez précises – ce qui est souvent le cas en Afrique noire –, le risque est grand de voir des populations qui ne disposent que de droits d'usage coutumiers sur les terres qui les font vivre en être dépossédées par des chefs locaux et/ou des gouvernements sensibles aux arguments des investisseurs étrangers. L'appauvrissement et la dégradation de la situation alimentaire sont alors à craindre. D'où la nécessité de plus en plus reconnue au niveau international d'encadrer, par des codes de bonne conduite, les investissements étrangers dans les actifs agricoles, forestiers ou miniers. Les principes généraux, qui ont été définis par les grandes organisations internationales (F.A.O., O.N.U., Banque mondiale...), mettent en avant tout d'abord le respect des droits fonciers et des usages des populations locales. Ils recommandent aux investisseurs de réaliser au préalable des études d'impact sur la sécurité alimentaire des populations concernées, sur le contexte environnemental, social, économique des projets. Ils préconisent également de procéder à des consultations aussi transparentes que possible à la fois au niveau des autorités gouvernementales, des collectivités territoriales et des populations locales. Certains appellent de leurs vœux la mise en place d'un label « Agro investissement responsable », qui inclurait des partenariats favorisant le développement agricole local grâce à des aides à la fois financières et techniques, à la formation et à l'innovation ainsi qu'à la construction d'infrastructures (voir les propositions du Centre d'analyse stratégique).
Mais, dans bien des cas, en l'absence de véritable marché foncier, il est impossible de connaître le prix d'achat ou de location des terres. En Éthiopie, le prix de location d'1 hectare de terre agricole pourrait être dans certains cas inférieur à 2 euros par an, soit cent fois moins que dans les pays riches. En Ukraine, il est actuellement de l'ordre de 30 euros par an, soit quatre ou cinq fois moins qu'en France.
Par ailleurs, il convient de souligner plusieurs dangers : tout d'abord, des agricultures peu soucieuses de l'environnement sur le moyen et le long terme pourraient se développer dans ces enclaves étrangères ; ensuite, augmenter les performances de ces dernières, les investisseurs risquent de choisir les meilleures terres, les mieux desservies par les moyens de transport modernes ou les plus à même d'être irriguées. Une sélection des terroirs agricoles au détriment des plus pauvres pourrait ainsi s'opérer. Au-delà, c'est la vaste question de la cohabitation entre une petite agriculture paysanne et une grande[...]
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Écrit par
- Jean-Paul CHARVET : professeur émérite à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, membre de l'Académie d'agriculture de France
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