LANGAGE
Le langage caractérise l'homme en tant que tel, ce « vivant qui possède le logos » (zôon logon echon), selon les Grecs ; animal symbolicum, d'après Ernst Cassirer. Il n'existe pas en dehors de l'étonnante diversité des langues historiques qu'explore Wilhelm von Humboldt au début du xixe siècle, diversité qui n'admet pas d'autre remède que l'acte de traduire. Distinguer, comme le fait Ferdinand de Saussure au début du xxe siècle, la langue comme objet formel de la linguistique du phénomène global de la parole, qui en constitue l'utilisation effective, répond à une exigence épistémologique. Tout en respectant la nécessité de cette coupure, la philosophie ne peut pas s'en contenter. Comme le souligne Paul Ricœur, la tâche première du philosophe à l'égard du langage est de rouvrir le chemin vers la réalité, perdue dans les abstractions, pourtant nécessaires, des sciences du langage et des signes.
Au commencement était le « logos »
En partant de la position centrale du langage dans la philosophie contemporaine, on peut se demander quelle a été la relation au langage dans les philosophies du passé. Chez les Grecs, il faut interroger d'abord la riche polysémie du mot logos, comme le fait Martin Heidegger pour qui la signification fondamentale du terme est « rassembler » et « collecter ». D'autres interprètes cherchent au contraire à mathématiser cette notion, pour en faire l'ancêtre de la « logique ».
Si l'expérience du langage qu'évoque le mot logosgarde une résonance cosmologique chez Héraclite, ou explicitement ontologique chez Parménide, les sophistes privilégient le rôle qu'il joue dans les échanges interhumains, où le besoin de convaincre l'emporte plus d'une fois sur le désir de connaître. Mais, coupé de son lien avec l'être, le langage risque de s'enfermer dans un univers clos de signes. Après Socrate, Platon et Aristote ne cessent de répondre à la contestation de la philosophie par les sophistes : Platon essaie, d'une part, de rejoindre la vérité de l'être, au-delà du langage – ce ne sont pas les noms qui nous font connaître les choses –, de l'autre, d'aller, dans le langage, au-delà d'une simple théorie de la dénomination, dont il explore les apories dans le Cratyle (390-385 av. J.-C.). Dans ce dialogue, consacré à la « justesse des noms », Cratyle et Hermogène se demandent si les noms correspondent aux choses par nature ou par convention. Les deux thèses se révèlent intenables : ce n'est pas le nom, mais la phrase, le logos comme synthèse du nom et du verbe, qui nous donne un accès à la vérité, en marquant en même temps l'écart, la distance du discours à la réalité et la possibilité de l'alternative vrai-faux.
De son côté, dans De l'interprétation (ive siècle av. J.-C.), Aristote montre que le langage ne coïncide pas avec les choses, mais qu'il les signifie grâce au discours qui a le pouvoir d'affirmer et de nier (logos apophantikos). La signification ne doit être ni arbitraire ni absurde. C'est la propriété référentielle du langage qui en assure l'ancrage ontologique, à la faveur de la reconnaissance de la polysémie de l'être qui « se dit de multiples façons ». Cette formule célèbre suggère à la fois qu'il y a une parole multiple de l'être et que le discours dans lequel il se dit est sans fin. En distinguant le logos apophantikos, le discours susceptible d'être vrai ou faux, et le logos semantikos, qui est simplement signifiant – autrement dit l'énoncé et l'invocation, l'exhortation, la poésie –, Aristote jette les bases de la logique, de la rhétorique et de la poétique.
En partant du Cratyle, Hans Georg Gadamer parle d'un « oubli grec du langage », thèse excessive, mais[...]
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Écrit par
- Domenico JERVOLINO : professeur de philosophie, université Federico-II, Naples
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