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LANGAGE (notions de base)

Les fonctions du langage

À ces deux dimensions (signe et sens) du langage, la linguistique du xxe siècle va ajouter une nouvelle complexité en mettant en évidence la pluralité des fonctions du langage, ou plus précisément de la communication. On doit à Roman Jakobson (1896-1982) la théorie la plus satisfaisante sur ce plan. Dans ses différents ouvrages, il part des fonctions qui sont les plus manifestes : le langage suppose un émetteur, un message et un récepteur. Quand c’est le message qui est privilégié, nous sommes dans la fonction poétique de la communication (par exemple lorsque le plus important est la beauté ou l’harmonie des mots). Quand c’est l’émetteur qui est central, nous sommes dans la fonction émotive ou expressive : celui qui parle attire l’attention sur ce qu’il ressent quand il parle. Et quand c’est le récepteur qui est essentiel, nous sommes dans la fonction conative, l’émetteur cherchant à obtenir un effet perceptible sur le récepteur (par exemple, l’obéissance à un ordre).

Mais trois autres notions doivent encore être distinguées, qui portent à six le nombre d’éléments définissant une situation de communication :

– Il est nécessaire qu’il existe un code qui soit compris par les deux interlocuteurs. Lorsque l’accent est mis sur ce code, nous nous trouvons dans la fonction métalinguistique (par exemple, quand nous définissons un mot que nous venons d’utiliser).

– L’échange ne peut aboutir sans le contact : il s’agit alors de la fonction phatique (par exemple les petites expressions par lesquelles nous vérifions que notre interlocuteur est bien à notre écoute).

– Enfin, ce que Jakobson nomme « contexte » ou « référent » est ce sur quoi porte l’énonciation. Lorsque ce dernier élément est primordial, nous sommes dans la fonction référentielle ou cognitive, le plus important étant alors ce sur quoi porte le message et ce qu’il nous apprend sur la chose parlée.

Un intérêt philosophique majeur de ces fonctions est de nous permettre de mettre en lumière des approches insuffisantes, voire mutilantes, de la notion de langage. Par exemple, à propos du langage des animaux : a-t-on raison de supposer que les animaux « parlent » ? Certes, la plupart des animaux échangent des messages. L’une des premières découvertes en ce domaine fut l’étude de Karl von Frisch (1886-1982) sur le « langage des abeilles ». Les abeilles éclaireuses, quand elles reviennent à la ruche, effectuent des danses qui indiquent aux abeilles butineuses où se trouve la source de pollen vers laquelle elles doivent se déplacer. Si nous sommes bien là dans ce que Jakobson appelle la fonction conative, s’agit-il pour autant d’un véritable langage ou seulement de l’émission d’un signe qui déclenche un comportement ?

On doit ici souligner l’insuffisance des approches « béhavioristes » – ou théories comportementalistes –, qui réduisent le langage à un ensemble de messages destinés à obtenir un acte de la part de l’interlocuteur. Ce serait revenir, en deçà de Platon, aux thèses des sophistes et de Gorgias en particulier.

Il en va de même pour la « théorie de l’information », qui prétend tout dire sur le langage en calculant les probabilités d’un message en fonction du code qui permet ce message. Cette théorie a eu un impact considérable sur les sciences humaines. Il est important de se souvenir qu’elle a pour origine les travaux d’ingénieurs américains des télécommunications qu’on avait chargés de mesurer précisément la dégradation des messages dans les échanges téléphoniques. Poussée à son paroxysme, la théorie de l’information assimile l’être humain doté de parole à un ordinateur échangeant des données avec une autre machine. Cette théorie oublie que la façon dont le message est transmis est aussi importante que le message lui-même : la formule « Je vous en prie », par exemple,[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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