LANGAGE
Le débat contemporain
D'après Karl Otto Apel, à partir des xiiie et xive siècles, la réflexion occidentale sur l'idée de langage emprunte quatre voies distinctes : la mystique du Verbe (de Maître Eckhart jusqu'aux versions sécularisées du logos), la critique nominaliste du langage (de Guillaume d'Ockham jusqu'à l'empirisme anglais), la tradition humaniste et herméneutique (de Dante Alighieri à Giambattista Vico jusqu'au romantisme allemand), enfin, la mathesis universalis (de Raymond Lulle à Gottfried Wilhelm Leibniz). Ces quatre conceptions distinctes du langage fusionnent au xxe siècle, en donnant naissance à deux paradigmes principaux : l'approche transcendantale-herméneutique et l'approche technico-scientifique qui dominent dans une large mesure les débats contemporains sur le langage, où ne cessent de s'affronter le nominalisme et la mathesis universalis, d'une part, l'herméneutique et la mystique du logos, de l'autre.
Certes, la conception du langage comme ensemble de signes manipulables qui est à la base de la syntaxe et de la sémantique logique représente une attitude opposée à l'écoute du langage en tant que révélation de l'Être chez Heidegger. Mais Ludwig Wittgenstein, en passant de la conception de la langue parfaite comme miroir du monde du Tractatus logico-philosophicus (1921) à l'analyse de jeux de langage comme formes de vie des Investigations philosophiques (1953), introduit une contradiction à l'intérieur même du paradigme technico-scientifique. Sur cette route s'acheminent aussi les approches post-wittgensteiniennes de l'analyse du langage ordinaire, et notamment la théorie des actes de langage de John Langshau Austin et John Rogers Searle, et encore la pragmatique conçue par Charles William Morris comme troisième partie de la sémiotique, après la syntaxe et la sémantique. À ces ouvertures, au moins virtuelles, répondent Gadamer, avec son idée du dialogue comme jeu de la demande et de la réponse, et Apel, suivi par Jürgen Habermas, avec sa reformulation sémiotique-peircienne du transcendantal kantien dans l'éthique de la communication.
Dans le courant phénoménologique, Edmund Husserl et Maurice Merleau-Ponty, avec la phénoménologie du corps propre, offrent un contexte pour penser le langage comme un corps verbal de la pensée. C'est surtout Paul Ricœur qui s'est engagé dans une réinterprétation de la méthode phénoménologique en une « phénoménologie herméneutique », qui avait été envisagée aussi par le jeune Heidegger. Sa pensée est le fruit d'une longue traversée de l'univers des signes, des symboles et des textes, qui n'oublie jamais l'ouverture du langage au réel, à la recherche de l'identité, toujours à conquérir, de l'« homme capable », capable de parler et d'agir, et de répondre de ses discours et de ses actions.
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Écrit par
- Domenico JERVOLINO : professeur de philosophie, université Federico-II, Naples
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