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LANGAGES DE MASSE

Au-delà du vrai et du faux

Discours de Hitler - crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

Discours de Hitler

À ce titre, publicité et propagande marquent une phase décisive (peut-être définitive) dans l'histoire de la communication. La rationalité occidentale s'est toujours fondée, en matière de discours, sur le critère du vrai et du faux. Or, ce néo-langage, qui est devenu le langage social dominant (il investit non seulement les champs traditionnels du commerce ou de la politique, mais toutes les sphères de la culture et de la communication sociale), est au-delà, ou en deçà, du vrai et du faux. Il change totalement les fondements traditionnels du vrai et du faux, car il ne vit pas de réalité objective, il vit de code et de modèles ; il ne vit pas de référence ou de vérité, il vit de séduction actuelle, du désir, éphémère et total, du code. Non pas du tout qu'il nous « trompe » : cette objection de mensonge, de bluff et de mystification qu'on fait à la propagande et à la publicité est la plus faible et la plus naïve. Tout autant que l'interrogation complémentaire, véritable serpent de mer des sciences humaines : est-ce que les gens y croient ou n'y croient pas ? Les publicitaires, les propagandistes croient-ils à ce qu'ils disent ? (Ils seraient à moitié pardonnés.) Les consommateurs, les électeurs ne croient-ils pas à ce qu'on leur dit ? (Ils seraient à moitié sauvés.) Mais la question n'est pas là. On a pu dire (D. J. Boorstin, L'Image) que le génie de Barnum, ou de Hitler, fut de découvrir non pas combien il est facile d'abuser le public, mais combien le public aimait être trompé. Ou encore que les problèmes les plus sérieux que pose la publicité viennent moins du manque de scrupules de ceux qui nous trompent que de notre plaisir à être trompés : ils procèdent moins du désir de séduire que du désir d'être séduit. Hypothèse séduisante, mais qui ne va pas au fond : il n'y a pas, à ce niveau de langage, de manipulation du vrai et du faux, pour la raison qu'il efface, ou déplace radicalement, les conditions mêmes du vrai et du faux.

La publicité, par exemple, fait des objets des événements, mais elle les construit comme tels sur la base de l'élimination de leurs caractéristiques objectives. Elle les construit comme fait divers spectaculaire, comme mythe, comme modèle. Les médias font de même avec les événements « historiques » : ils les construisent comme modèles. Éventuellement, ils les construisent de toutes pièces comme modèles de simulation, et la propagande en fait de même avec les idées et les concepts de la pratique sociale et politique. « La publicité moderne vit le jour lorsqu'une réclame ne fut plus une annonce spontanée, mais devint une nouvelle fabriquée » (Boorstin). Ces modèles ne sont pas faux : ils ont leur logique et leur cohérence, mais qui ne leur vient plus d'une quelconque réalité – elle leur vient de leur propre code, devenu principe de réalité – et la séduction profonde de ces langages vient sans doute de cette hypercohérence d'un code, d'un traitement mythique et structural où la séduction peut enfin s'exercer librement, où le désir peut enfin s'accomplir sans contrainte de réalité. (La simulation est aussi à la base de toute la cybernétique et de la recherche opérationnelle, et on sait quelle puissance sociale de contrôle celles-ci constituent aujourd'hui.) Publicitaires et propagandistes sont ainsi des opérateurs mythiques, mais non pas des menteurs. Ce qui est plus grave en quelque sorte, car, s'ils ne faisaient que mentir, ils seraient faciles à démasquer. Alors que tout leur art consiste en l'invention d'exposés persuasifs qui ne soient ni vrais ni faux.

Par là, leur langage relève de toute une mutation historique et sociale qui s'accomplit sous la logique du signe. La communication de masse est au-delà du vrai et du faux,[...]

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Écrit par

  • : maître assistant de sociologie à l'université Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Discours de Hitler - crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

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