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LANGAGES DE MASSE

Logique interne de ce néo-langage

À ce déplacement du vrai et du faux, à cette inversion du référentiel et du code correspond un tout autre appareillage du discours que dans la logique traditionnelle.

Tautologie

L'articulation logique est remplacée par la tautologie : « Omo, ça, c'est de la lessive » ; « La majorité, c'est vous », etc. Ce schème général culmine dans la pure et simple incantation de la marque publicitaire ou du slogan politique. Tous les signes se ramènent à un seul signe qui s'égale à lui-même : la marque ou le slogan. C'est sur ce signe imposé, inlassablement redoublé en lui-même, que vient s'indexer ce discours, au contraire du discours logique ouvert. Et c'est cette tautologie secrète, même si elle s'enveloppe de significations et de figures rhétoriques très riches, qui fait sa causalité efficace et sa vraisemblance. C'est cette répétition interne qui induit la répétition « magique » du discours dans l'événement.

Paralogie du détail

La publicité est un discours total sur des détails, des différences marginales, des vérités partielles réifiées en totalité. C'est la litanie de l'allume-cigare, la rhétorique de l'accessoire. En propagande aussi, la technique consiste à orchestrer tel détail, tel aspect sélectif de la réalité, jusqu'à saturation du champ idéologique. (La propagande raciste est l'exaltation dirigée d'un, et d'un seul, caractère différentiel, la race ou le sang, pour en faire une idéologie totale.) Là aussi, la logique du tout et de la partie se substitue à celle du vrai et du faux. La logique du déplacement et de la substitution prend la place de l'articulation dialectique.

Paradoxe de la conjonction des incompatibles, de l'identité des contradictoires

« À 140 km/h, on roule plus vite en Renault 16. » « Trois rasoirs en un seul : quand Philips surpasse Philips. » « Vivre dès aujourd'hui en l'an 2000. » « Invisiblement habillée. »

Ce principe de synthèse magique, corollaire de celui de tautologie, se révèle en politique comme le langage même du terrorisme et de la dissuasion : c'est le fameux Peace is war, war is peace de George Orwell (1984), ou encore « bombe propre », les retombées « inoffensives » et, encore une fois, « La majorité, c'est vous ». Langage hypnotique qui ne connaît plus la contradiction ni la négativité et rejoint ainsi ce que Freud décrit comme processus primaire : « Des pensées contradictoires non seulement ne se distinguent pas, mais encore se juxtaposent, se condensent et forment un compromis que nous n'admettrions jamais dans la pensée normale » (L'Interprétation des rêves).

On retrouve ce paradoxe jusque dans le retournement magique de l'« antipublicité », qui ne fait que mimer la distance critique vis-à-vis d'elle-même pour mieux obéir à son objectif – un peu comme l'artifice de la censure qui fait se dire qu'on rêve à l'intérieur même du rêve. C'est par ce même principe de compatibilité totale sur la base de la pure et simple manipulation de signes que ce discours peut court-circuiter et s'annexer tous les autres types de discours : scientifique (la biologie des enzymes, la technologie, l'histoire), poétique et culturel, discours de la révolution, discours de l'inconscient, discours objectif, discours critique ; tout peut être réintégré comme simulacre et comme fonction alibi par le discours mythique.

Abolition de la syntaxe

C'est peut-être la tendance la plus caractéristique. « Persil-lave-plus-blanc » n'est pas une phrase à proprement parler, un énoncé articulé. C'est un syntagme figé, signalétique, un seul signe plein, un indicatif sans phrase qui s'impose comme un impératif. Même chose pour le « changement dans la continuité », ou le « grand parti des travailleurs[...]

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Écrit par

  • : maître assistant de sociologie à l'université Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Discours de Hitler - crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

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