CRÉOLE LANGUE
Le créole : résistance et appropriation
Plus de deux cents langues créoles ou apparentées (pidgin) ont été enregistrées. Elles sont classées par les spécialistes d'après leurs langues-bases européennes. C'est ainsi qu'on distingue :
1. des langues créoles à base anglaise, créoles de la Jamaïque (bungo, quashee, jagwatalk), gullah de Charleston, guyanese, sranan (taki-taki), saramaccan et ndjuka, parlers des « nègres » des rivières vivant aux Guyanes et toutes les variétés de créole des Caraïbes ;
2. des langues à base portugaise au Brésil, au Cap-Vert, kriyol du Sénégal, Guinée-Bissau, São Tomé, Príncipe et Annobon ;
3. des langues à base espagnole, kaló de Cuba, papiamento des Antilles néerlandaises, pachuco du sud-ouest des États-Unis, « créoles africains-espagnols » parlés en Colombie, au Venezuela et au Mexique ;
4. des langues à base néerlandaise, negerhollandsde Saint-Thomas (îles Vierges, États-Unis) et des variétés africaines – en particulier l'afrikaans ;
5. des langues à base de français, Louisiane, Caraïbes francophones (Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane), Caraïbes anglophones (Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, Saint-Vincent, Trinité-et-Tobago), océan Indien (Réunion, Maurice, Seychelles et Rodrigues).
Il y a en outre des créoles qui se sont développés sur la base d'autres langues comme le calo ou calão des romanichels, le yiddish, le ladino (etc.), des créoles amérindiens (jargon chinook et mobilien en Amérique du Nord).
Plusieurs problèmes se posent : la description des structures phonologiques, l'orthographe, la codification, la modernisation et la pédagogie du créole, qui a été pendant longtemps le véhicule déterminant d'une symbolique de résistance. Langue de la mémoire collective, le créole a recueilli un héritage accumulé tragiquement par des générations de « nègres », aux Caraïbes par exemple, qui ont pu élaborer une culture orale autour des contes populaires avec des personnages pittoresques (Lapin, Zamba, Bouki, Malice, Colibri, etc.), des veillées mortuaires, des proverbes et des devinettes. C'est peut-être surtout dans la création musicale que s'affirme l'importance du créole, dans les chants et dans la musique ngoka de Guadeloupe, où la langue apparaît comme un facteur d'unité rassemblant toutes les composantes culturelles et sociales de l'univers des Caraïbes.
On retrouve l'influence du créole dans la création tant poétique que romanesque, chez des écrivains aussi différents que Alexis Léger, alias Saint-John Perse, créole de Guadeloupe, Aimé Césaire, qui se qualifiait lui-même de « nègre » de Martinique, et Derek Walcott, originaire de Sainte-Lucie ; dans les œuvres du Haïtien Frankétienne, des Guadeloupéens Maryse Condé, Simone Schwarz-Bart ou Ernest Pépin, ou encore chez les romanciers martiniquais Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant.
La polémique engagée entre les experts relativement au statut du créole semble dépassée. Les linguistes s'accordent à reconnaître une rupture structurale entre le créole et la langue-base qui en fait une langue à part entière. Le créole répond en effet aux caractéristiques de toute langue : systématicité, complexité et homogénéité ; individualité et intégrité par rapport aux autres langues ; processus de création lexicale interne. Depuis 1976, le Comité international des études créoles organise des congrès qui se réunissent régulièrement dans les différents pays où on parle le créole. Par ailleurs, depuis 1975, le GEREC-F (Groupe d’études et de recherche en espace créolophone et francophone) de l'université des Antilles Guyane s'est donné pour tâche le développement du créole écrit (textes théoriques, production de vocabulaires innovants, publications en créole, etc.). Il a favorisé le développement du concept de créolité,[...]
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Écrit par
- Oruno D. LARA : professeur d'histoire, directeur du Centre de recherches Caraïbes-Amériques
Classification
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