TAMOULES LANGUE & LITTÉRATURE
Les Temps modernes
Le xviiie siècle offre à la fois des poèmes religieux et mystiques et une littérature profane, chatoyante et drue. Dans le premier genre, on retiendra les poèmes mystiques de Tāyumāṇavar, shivaïte de tradition siddha ; le Cīṛāppurāṇam, vie de Mahomet en 5 000 vers par le musulman Umaṛu (il y a une importante littérature islamique d'expression tamoule) ; le Tēmpāvaṇi, vie de saint Joseph par le jésuite italien Beschi (1680-1746) dans le style des kāvya.
Les compositions musicales, ou kīrttaṇai, s'épanouissent en drame avec Aruṇācala Kavirāyar (Rāmanāṭakam). Mêlant musique et danse, sujet religieux et thèmes folkloriques de la montagne, une sorte d'opéra, le Kuṛṛālakkuṛavan̄ci de Rājappa Kavirāyar (1718), est le premier et le meilleur d'un genre qui fera fortune. Plus populaire encore, le paḷḷu met en scène le monde paysan, ses travaux, ses ivresses et ses disputes domestiques, et plaisante les dieux avec verve : le Mukkūtal paḷḷu (fin du xviie s.) allie dans le dialogue diction poétique et langage populaire du Tirunelveḷi. Le peuple encore exprime sa vision satirique des choses dans les noṇṭi nāṭakam, nés de la propagande musulmane, qui permettent de ridiculiser avec verve les travers de la société ou des caractères ; le meilleur est l'œuvre de l'hindou Maṇaperumal. La veine satirique était présente au xve siècle, aussi bien avec les invectives du grand poète Kāḷamēkam et ses redoutables improvisations que dans un texte « libre penseur », l'Akaval de Kapilar (xe s. ?) ; mais, avec les noṇṭināṭakam, elle s'ouvre au langage populaire. De celui-ci le Journal d'Ananda Raṅga Piḷḷai, le dobachi de J.-F. Dupleix, nous donne le meilleur témoignage ; texte capital, car jusqu'à lui la prose avait surtout servi aux commentateurs médiévaux du Saṅgam dont l'œuvre d'érudition, remarquable car elle a rendu ces textes accessibles, n'était pas de nature à créer la prose romanesque. La littérature de masse est versifiée, histoires folkloriques des héros épiques ou de personnages de légende (le raja de Giṅgi, Tēciṅku, ou Kaṭṭapommaṇ, révolté contre les Anglais) ; littérature édifiante des kīrttaṇai, cintu et ammāṇai (ballades et chants).
Amorcée par les précurseurs comme Roberto De Nobili ou Beschi et les Danois à Tranquebar (Ziegenbalg y vient en 1706), continuée par les Français ou les Anglais, l'action missionnaire contribue au développement des lettres et surtout de la prose, et à la diffusion des textes par l'imprimerie. Arumuka Navalar (1822-1876), élève et précepteur de missionnaires, installe une presse à Madras et édite environ soixante-dix classiques ; śivaïte éclairé, sa prose est un modèle de style littéraire. Un important mouvement d'érudition continuera son œuvre, dans le respect de la tradition illustrée par le poète prolifique et varié Mīṇakṣi Cuntaram Piḷḷai (1815-1876). On doit à son disciple U. V. Swaminatha Iyer (1855-1942), qui consacra sa vie à éditer des textes, la résurrection critique de la plupart des poèmes du Saṅgam que l'on possède actuellement. Il n'est pas seul : la renaissance des lettres tamoules se donna pour symbole la fondation d'un nouveau Saṅgam à Madurai en 1900, avec une excellente revue, Cen Tamil.
Le poids du passé était-il trop écrasant ? La poésie lyrique fleurit encore dans la tradition de la bhakti śivaïte avec Rāmaliṅga Swami (1823-1874), mais Suryanarayana Sastri (1871-1903) laisse des drames (Mana vijayam) et des poèmes, notamment des sonnets, où un réel effort de renouvellement de la langue et de l'inspiration est sensible. Seul Subramania Bhārati (1882-1921) parvient à être grand poète et prosateur vigoureux, et reste le chantre de l'indépendance. Plus jeunes, Bhārati Dāsan et Desikavināyakan[...]
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Écrit par
- François GROS : agrégé de l'Université, directeur de l'École française d'Extrême-Orient
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