TEKIN LATIFÉ (1957- )
Latifé Tekin est née en 1957 dans un village de la province de Kayseri (Cesarée). D’origine paysanne, elle a vécu l’exode des années 1950-1980, conduisant à la formation de bidonvilles à la périphérie de la plupart des grandes villes turques.
Les deux premiers livres de Latifé Tekin évoquent cette transplantation dramatique, qui conduit du village à l’entassement des périphéries urbaines. Publiés en 1983 et 1984, Mort chérie fantasque et Berdji Kristine, contes de la montagne d'ordures ont connu en Turquie un succès immédiat. La critique a souligné l’originalité de ces récits où l’imaginaire paysan anatolien, avec ses légendes, ses superstitions, ses magies, son mode de vie millénaire, se heurte à une société en proie à la fièvre d’une modernisation chaotique.
En turc, bidonville est remplacé par « bâti-la-nuit », terme significatif : selon la loi, tout ce qui est construit la nuit a le droit – du moins théoriquement – de rester en place. Mais, face à cette appropriation spontanée, des obstacles se dressent. Pendant longtemps, une lutte acharnée a opposé bâtisseurs et démolisseurs, la construction des bidonvilles devenant alors un véritable travail de Sisyphe, jusqu’au jour où, les facteurs politiques aidant, ils ont fini par obtenir droit de cité.
Si les personnages de Latifé Tekin vivent cette transition, l’écrivain ne s’exprime ni en sociologue ni en urbaniste. Loin d’être conventionnel, son type d’écriture est en parfaite osmose avec la thématique exposée. Des éléments fantastiques ou épiques se mêlent à la vision à la fois réelle et irréelle de son vécu, à tel point que le style de Latifé Tekin semble fait de bric et de broc, à la manière d’un de ces bidonvilles, tout en manifestant un grand courage et une étrange poésie donnant à voir un monde « de l’intérieur ». Sept fois les démolisseurs reviendront et sept fois les masures seront rebâties. Et peu à peu, défiant le chaos, un chant s’élèvera, célébrant la volonté d’exister.
Dans les romans Les Leçons de nuit (1986), Les Épées de glace (1989) et Chère Défunte (1991), Latifé Tekin semble vouloir se dégager de la marginalité de son écriture.
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Écrit par
- Guzine DINO : chargée d'enseignement honoraire à l'Institut des langues et civilisations orientales, université de Paris-III
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