LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) La langue
Les grands moments de l'histoire du latin
L'histoire du latin est celle de créations volontaires. Les peuples de l'Antiquité renonçaient volontiers à l'usage de leur langue lorsqu'ils entraient en contact avec des civilisations plus prestigieuses ; que reste-t-il du gaulois, de l'étrusque, des langues indigènes de l'Espagne ou de l'Italie ? Depuis le viiie siècle, le grec était en passe de devenir la langue commune du bassin méditerranéen ; toutes les grandes villes, les franges côtières étaient bilingues – Rome, le Latium tout aussi bien ; au ive siècle, Héraclide du Pont désigne Rome comme une ville grecque ; la pente naturelle de l'histoire eût été que les Romains abandonnassent le latin. On voit au contraire à travers les documents épigraphiques qu'au moment même où la tentation dut se faire la plus forte ils travaillaient à stabiliser, à fixer la prononciation de leur langue, allant jusqu'à restituer en fin de mot des syllabes ou des consonnes que l'usure phonétique, une élocution négligente, tendaient à faire disparaître. À toutes les époques, ils ont veillé sur la correction de leur langue avec un soin diligent.
Dès le moment où ils se mettent à écrire, les Romains, qui ne possédaient qu'un unique latin, le parler de leur ville, ont voulu, à l'image des Grecs, riches de tous leurs dialectes, se donner une langue poétique, distincte de celle dont ils continueraient à user pour leur prose. Le plus étonnant est qu'ils y sont parvenus (on se rappellera, en comparaison, l'échec de la Pléiade), que des chefs-d'œuvre ont été écrits dans cette langue, qu'elle a eu dans le monde romain une suffisante diffusion pour que ses procédés, ses créations, pénètrent un jour la prose même et aient souvent passé dans les langues romanes. Une syntaxe nominale qui porte à l'extrême l'indécision des valeurs casuelles, un refus presque systématique de l'emploi des prépositions, un vocabulaire que l'emprunt grec rehausse de traits d'exotisme, qui sait recueillir les vieux mots ou en composer d'absolument inédits : avec la génération de Virgile, c'est la recherche d'effets d'harmonie souvent obtenus par la mise en système de groupes coordonnés.
En prose, l'essentiel fut de trouver le secret de l'ampleur. Les recherches de Cicéron ont porté notamment sur les problèmes du rythme. Les Romains, comme on le voit à travers les vestiges misérables de leurs anciennes liturgies, avaient sans doute à cet égard une oreille particulièrement affinée. Cicéron a bien reconnu que le rythme, indépendamment de sa valeur impressive, est dans la phrase un facteur d'ordre et de clarté ; il a bien vu aussi comment, au plan de la signification, les procédés rythmiques concourent à donner du relief à des antithèses ou à des convergences ; ils servent ainsi la pensée même. Un peu plus tard, Salluste, Tite-Live surtout, mettront sur pied la grande phrase narrative, linéaire plutôt que concentrique, mais linéaire à la manière d'un fleuve qui recueille beaucoup d'affluents, dont le cours connaît des péripéties, des rapides, de brusques détours. Ces entreprises ont contribué au progrès des techniques de la phrase complexe : élaboration des valeurs modales (indicatif-subjonctif), développement et particularisation des outils de la subordination, vie nouvelle communiquée aux constructions participiales restées jusqu'alors rudimentaires.
Le dernier avatar de la création du latin s'est manifesté plus tardivement. Les nécessités de la discussion théologique, une curiosité renouvelée pour les sources de la pensée grecque ont conduit le latin, avec Victorinus, Calcidius, Boèce, à devenir aussi une langue technique. Les latinistes n'ont pas encore étudié suffisamment cette sorte d'algèbre intellectuelle que les[...]
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Écrit par
- Jacques PERRET : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à la Sorbonne
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