LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) La littérature chrétienne
La tradition latine classique
Dès son apparition, la littérature latine chrétienne atteint une sorte de perfection. Chacun dans son genre, Tertullien, Cyprien, Minucius Felix sont des écrivains remarquables. Une des raisons de ce phénomène est probablement le retard du développement de la littérature chrétienne en Occident par rapport à celui de cette même littérature en milieu grec. L'ensemble des premiers écrivains chrétiens de langue grecque étaient de culture assez limitée et hostiles à la culture classique. Mais, au moment où la littérature latine chrétienne commença à prendre son essor, ces préjugés étaient dépassés, les écrivains chrétiens avaient renoué avec les modèles classiques ; on avait accepté l'idée qu'un écrit chrétien puisse rechercher la beauté littéraire. D'autre part, dès son début et pendant toute une partie de son histoire, cette littérature sera l'œuvre de rhéteurs, c'est-à-dire de professeurs de littérature, de déclamation et d'argumentation : Tertullien, Minucius Felix, Arnobe, Lactance, Marius Victorinus, Augustin resteront fidèles à la tradition littéraire classique ; ils y puiseront les modèles à imiter, pour le style, pour les règles à observer dans les différents genres littéraires, pour l'argumentation polémique ou dogmatique, pour l'exhortation morale.
Le maître incontesté est évidemment Cicéron. Une des premières œuvres apologétiques latines, l'Octavius de Minucius Felix est un dialogue qui est censé se dérouler, au bord de la mer, à Ostie, entre le sceptique Cecilius Natalis et les chrétiens Minucius et Octavius ; la construction de l'ouvrage, le style, une partie des idées sont empruntés à des modèles cicéroniens. Dans la même tradition, Lactance, qui se plaît fréquemment à imiter Minucius Felix, christianise en quelque sorte les idéaux cicéroniens dans ses Institutions divines. Un phénomène semblable se produit dans l'ouvrage de l'évêque Ambroise de Milan, qui porte le titre Des devoirs des serviteurs du culte (De officiis ministrorum) ; c'est une adaptation chrétienne souvent très littérale de l'ouvrage de Cicéron intitulé De officiis. Augustin découvre la philosophie en lisant l'Hortensius ; et, après sa conversion au christianisme en 386, il rédige à Cassiciacum des dialogues qui, non seulement sont construits selon le modèle cicéronien, mais surtout prolongent les réflexions du grand orateur romain sur les critères de la connaissance ou le souverain bien. Ce cicéronianisme n'allait d'ailleurs pas sans crise de conscience : dans une lettre adressée en 384 à sa fille spirituelle Eustochium, Jérôme raconte qu'il vit en songe le Christ lui apparaître et lui dire : « Tu es cicéronien et non chrétien » ; Jérôme lui jura alors de ne plus lire d'ouvrages profanes, mais oublia vite ce serment de rêve. Au vie siècle, en tout cas, le chrétien Boèce n'éprouvera aucun scrupule à utiliser ses souvenirs cicéroniens pour rédiger la peu chrétienne Consolation philosophique, qui fut sa préparation à la mort.
Sénèque est, pour les écrivains latins chrétiens, parfois un modèle de style, mais surtout un maître à penser. Son influence se perçoit notamment chez Tertullien, chez Novatien, qui lui emprunte textuellement des développements dans son écrit De cibis iudaicis, chez Jérôme, chez Augustin, qui cite d'assez longs passages des critiques du culte païen que contenait l'ouvrage perdu de Sénèque intitulé De la superstition, enfin chez Martin de Bracara (vie s.), dont la Formula honestae vitae est presque totalement puisée dans un ouvrage perdu de Sénèque, le De officiis. On s'imagina même que Sénèque s'était converti au christianisme et l'on fabriqua une pseudo-correspondance entre l'apôtre Paul et le précepteur de Néron. Jérôme[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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Médias