LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) La littérature chrétienne
Caractéristiques générales
Les littératures chrétiennes en général, qu'elles soient de langue grecque ou de langue latine, sont des littératures de lutte, lutte contre les païens ou, à l'intérieur du christianisme, lutte contre les hétérodoxes, gnostiques, manichéens, ariens, nestoriens (ou monophysites), pélagiens, donatistes et schismatiques de tout genre. Mais cet aspect semble extrêmement accentué dans la littérature latine chrétienne. La polémique, l'invective, l'injure même, y jouent un très grand rôle. La véhémence de Tertullien dans ses attaques contre les païens ou contre Marcion est bien connue. La verve et l'imagination réaliste d'Arnobe critiquant les mythes païens sont débordantes. Les poèmes de Commodien sont remplis de sarcasmes, non seulement contre les païens, mais aussi contre les chrétiens trop tièdes. Lactance devient presque haineux dans son ouvrage Sur la mort des empereurs persécuteurs. Firmicus Maternus, qui lorsqu'il était encore païen avait écrit un traité d'astrologie, la Mathesis, fait appel, après sa conversion, aux empereurs chrétiens pour qu'ils exterminent les païens. Lucifer de Cagliari, au plus fort de la querelle arienne, multiplia les pamphlets : Des souverains apostats, Qu'il ne faut pas rencontrer les hérétiques. Hilaire lui-même s'en prend à l'empereur Constance, coupable de soutenir une faction ecclésiastique d'inspiration arienne ; il le traite d'Antéchrist, de fils du diable. Quant à Jérôme, sa violence est légendaire : ses Lettres, d'une verve satirique intarissable, ne reculent ni devant l'injure, ni devant le calembour féroce quand il s'agit de déconsidérer l'adversaire. Ces écrivains chrétiens sont les héritiers d'Horace, de Juvénal et de Martial. Comme le dit Tertullien à propos de saint Paul, ils trempent « leur plume non dans l'encre mais dans le fiel ». Mais on peut soutenir aussi avec H. von Campenhausen que le christianisme latin a, au moins avant Augustin, quelque chose de judaïque, c'est-à-dire qu'il est moralisant, légaliste et rigoriste. Il est vrai que la littérature latine chrétienne fait plus de place que la littérature grecque chrétienne aux problèmes de morale et aux questions d'organisation ecclésiastique. Il est vrai aussi que la présentation de la doctrine chrétienne par un certain nombre d'écrivains latins chrétiens du iiie et du ive siècle est assez déficiente. Si l'on n'avait en main que Minucius Felix, Arnobe, Lactance et Firmicus Maternus pour reconstituer ce que fut le dogme chrétien, on parviendrait à une image assez différente de celle que permet l'ensemble des documents connus. Mais il est vrai aussi qu'avant Augustin, Tertullien, Hilaire et Marius Victorinus furent des théologiens remarquables qui n'eurent pas peur de l'abstraction et qui furent des créateurs dans le domaine du vocabulaire philosophique.
L'aspect judaïsant dont parle von Campenhausen se retrouve dans l'espérance millénariste qui se maintient jusqu'à Augustin. Cette croyance au règne terrestre du Christ pendant mille ans est déjà chez Tertullien. Elle existe également chez Commodien, qui décrit avec précision les événements qui précéderont ce millénaire, chez Victorin de Pettau, notamment dans son commentaire de l'Apocalypse, chez Lactance dans le VIIe livre de ses Institutions divines. Augustin avoue au livre XX de La Cité de Dieuqu'il avait lui-même cru à cette doctrine. L'influence de la pensée origénienne en Occident au ive siècle semble avoir provoqué la régression de cette représentation. Il n'en reste pas moins que l'importance donnée à l'idée millénariste en Occident correspond probablement à un sens très romain du rôle joué par la Providence dans la direction du cours de l'histoire. Une telle considération[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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Médias