LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) La littérature
Le règne de l'éloquence
Longtemps, les textes juridiques furent mis sous la forme de maximes rythmées (carmina). Les Annales des pontifes, où étaient consignés les événements remarquables, n'étaient qu'une suite de notations sans caractère littéraire. Aussi la première histoire de Rome fut-elle écrite en langue grecque vers 216, en pleine guerre punique, par un sénateur, Q. Fabius Pictor. Il en va de même pour celle de son contemporain, L. Cincius Alimentus. Leur modèle était Timée de Tauromenium (Taormina). Mais à notre connaissance la prose latine ne commence vraiment qu'avec les écrits de Caton le Censeur, au début du iie siècle avant J.-C : ce sont les Origines, et l'Encyclopédie qu'il destinait à son fils. Caton voulait en effet constituer une « science » romaine, qui éviterait que l'on eût à utiliser la « science » grecque, considérée comme dangereuse. Nous ne possédons plus de lui que le De agri cultura, réflexion sur l'économie de ce temps. On y trouve un souci certain du style, et l'influence de la rhétorique grecque, avec laquelle Caton avait pu se familiariser.
Mais la prose écrite joue à cette époque un moindre rôle que l'éloquence. Celle-ci apparaît, assez spontanément, avec les hommes d'État du iiie siècle. Le désir d'être efficace créa une rhétorique alliant aux traditions nationales (goût du pragmatisme et de la morale) les recettes des rhéteurs siciliens (anaphores, assonances, allitérations, etc.). Caton fut le premier à publier ses discours, après les avoir remaniés. L'éloquence va alors agir sur la manière d'écrire l'histoire.
À l'époque de Scipion Émilien (et de Térence !), de nombreux historiens – L. Cassius Hemina, L. Calpurnius Frugi, C. Fannius – écrivent des Annales, dans lesquelles ils exposent les événements année par année, comme le suggérait la succession des magistrats dont les pouvoirs ne duraient qu'un an. Ce cadre archaïque sera encore utilisé par Tacite trois siècles plus tard. De ces œuvres, il ne nous reste plus que des fragments, et les Modernes parlent à leur propos de falsification de documents, de recours à des légendes ou à des exagérations, pour la plus grande gloire de quelques familles. Quoi qu'il en soit, elles seront à la source de l'Histoire de Tite-Live, un siècle et demi plus tard.
Mais bientôt, à côté de ces histoires « générales », qui traduisaient la continuité de Rome, on voit naître des monographies consacrées à un événement particulier : sept livres de Caelius Antipater pour la guerre d'Hannibal, par exemple, ou encore, au début du ier siècle, l'ouvrage de Cornelius Sisenna qui racontait la guerre sociale (90 av. J.-C.) et les luttes entre C. Marius et Sulla. Les crises qui tendent à défaire les institutions se traduisent ainsi par le déchirement de la continuité ! L'aboutissement de cette tendance se trouvera dans les ouvrages de Salluste, au moment où la vieille république éclatera définitivement.
Pendant cette période, qui précède immédiatement les temps cicéroniens, les orateurs sont nombreux et passent pour remarquables : ainsi de Tiberius et Caius Gracchus, les deux tribuns qui furent brisés pour avoir voulu réformer l'État. L'éloquence, sous toutes ses formes (judiciaire, politique, devant le peuple ou au sénat), fait alors l'objet d'études passionnées ; elle s'engage dans diverses voies : tantôt dans celle de la sobriété et même de la sécheresse (style « attique »), tantôt dans celle du pathétique, de l'emphatique et du théâtral (style « asianique ») ; entre les deux, on trouve encore le style rhodien. Une vieille sympathie unissait en effet les Romains à la république de Rhodes que les rois n'avaient pu abattre. Là, l'éloquence n'était pas, comme en Asie, un spectacle (parfois[...]
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Écrit par
- Pierre GRIMAL : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
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Médias