LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) La littérature
Cet empire qui va naître
La mort de Cicéron marque la fin du temps où l' éloquence triomphante était maîtresse de la cité. Désormais, la liberté une fois perdue, les orateurs ne seront plus que des avocats, et non des hommes d'État. Quelques survivants de l'âge précédent, comme Asinius Pollion, compagnon de César, auront beau maintenir quelque temps la tradition républicaine, l'éloquence ne sera bientôt plus qu'une technique, tout au plus une forme de culture, appuyée par la philosophie, que l'on apprend à l'école.
Ce n'est certainement pas un hasard si le plus notable historien qui écrivit sous Auguste fut un rhéteur originaire de Padoue, Tite-Live, homme d'école et non plus familier du Forum et de la Curie. Son œuvre se place entièrement sous le « règne » d'Auguste, entre 25 avant J.-C. et 9 après J.-C. Soucieux, comme ses prédécesseurs (Varron notamment) d'affirmer la continuité de Rome, il va édifier, en un seul monument, tout ce qu'ont dit les annalistes. Il conserve la structure annuelle (les consuls, même sans grands pouvoirs désormais, continuent d'entrer en charge le 1er janvier et de donner leur nom à l'année), mais, malgré ce cadre rigide, n'en crée pas moins des ensembles dramatiques, et introduit des discours, s'interroge sur les causes des événements. En cela, il se rattache à l'historiographie grecque, celle de Thucydide, de Polybe, mais aussi à Salluste. Il exalte la morale des ancêtres, façonne une orthodoxie de l' histoire romaine, en affirmant une position critique à l'égard des sources, tout en projetant une vive lumière sur ce qu'il croit être la volonté des hommes du passé, au service de leur patrie. Tite-Live contribue ainsi à la naissance de l'Empire, et à la formation de son idéologie. Peut-être l'image de Rome que nous avons créée en lisant Tite-Live eût-elle été différente si nous possédions les dix-sept livres des Histoires d'Asinius Pollion consacrées aux guerres civiles !
Mais le règne d'Auguste voit surtout le triomphe de la poésie. Son plus grand nom est celui de Virgile. Il est en effet aussi important dans l'ordre de la poésie que le fut Cicéron dans celui de la prose. Virgile commence par écrire, lui aussi, de petits poèmes, dans l'esprit de la « nouvelle poésie » (une partie au moins de ceux qui lui sont attribués dans l'Appendix Vergiliana). Il aime l'érudition, comme les Alexandrins, et aussi Lucrèce, si bien qu'il se convertit à l'épicurisme et participe à cette recherche de la sagesse qui marque cette génération. Sans doute, l'épicurisme se défie de la poésie. Mais Lucrèce a montré que sagesse et poésie n'étaient pas incompatibles. D'autres sources d'inspiration se présentent bientôt : par exemple l'amour de la terre, brusquement éveillé, lorsque, en 42, la propriété de Virgile, près de Mantoue, risque de lui être arrachée. La littérature alexandrine lui offrait un exemple, voire un modèle : les Idylles de Théocrite. Il s'agissait là d'un chant que l'on n'avait pas encore entendu à Rome, et qui surprenait par sa forme : de petits mimes, des dialogues entre les bergers. En réalité, grâce aux Bucoliques, c'est le sentiment que les Italiens ont de la terre qui conquiert tout d'un coup sa dignité littéraire. Les paysages, les hommes, les animaux, les divinités des champs viennent composer le vaste tableau d'un paradis perdu et retrouvé, au centre duquel le « berger » Tityre offre le spectacle de la sérénité. Au-dessus, resplendit la figure lumineuse de César, chanté sous le nom de Daphnis : il incarne la promesse d'un temps où les héros héritiers du dictateur, Antoine, Octave surtout, auront réussi à établir la paix politique, condition première de la sérénité à laquelle aspirent les âmes.[...]
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Écrit par
- Pierre GRIMAL : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
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Médias