LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) La littérature
Où l'art devient culture
Pendant les dernières années du règne d'Auguste (qui se termine en 14 apr. J.-C.), il se fait, à Rome, un grand silence dans le domaine des lettres. Virgile, Horace éblouissent. Quelques grands poèmes encore sont écrits, comme le De morte de Varius, un épicurien épigone de Lucrèce, et des tragédies, probablement récitées devant un public restreint plutôt que jouées au théâtre. C'est à ce moment qu'une sorte de débat s'engage, entre la poésie et la prose : la prose, c'est-à-dire l'éloquence ; la poésie, en fait la tragédie. Que vaut-il mieux pratiquer ? Le problème sera résumé par Tacite, dans le Dialogue des orateurs, à la fin du ier siècle après J.-C. : l'éloquence est l'arme des délateurs, elle est teintée de sang et ne donne plus la vraie gloire. La poésie permet une vie tranquille et procure de délicats plaisirs. On trouve donc, d'un côté, le goût traditionnel de l'action, de l'autre la tentation du jeu.
La prose oratoire, nous l'avons dit, était enseignée par les rhéteurs. Un livre de Sénèque le Père nous introduit dans la vie de leurs écoles, avec ses Suasoriae et ses Controverses, qui fournissaient aux jeunes gens des développements « préfabriqués », pour conseiller ou pour défendre devant les juges. Le manuel de Quintilien, l'Institution oratoire, bréviaire des professeurs depuis le temps des Flaviens, résume à lui seul l'esprit universel de cette culture orientée vers une littérature orale, que l'on peut regarder comme la somme d'une expérience commencée au ve siècle avant J.-C. avec les rhéteurs siciliens, poursuivie dans l'Athènes du ive siècle, systématisée enfin dans la pratique romaine depuis le début du iie siècle.
La prose écrite – véritable littérature, au sens où nous l'entendons – vit alors essentiellement par l'historiographie, qui connaît une grande vogue, et sert de refuge à la réflexion politique : c'est ainsi que les Annales de Cremutius Cordus furent brûlées, sous Tibère, parce qu'elles critiquaient trop vivement le régime impérial. Au contraire, l'Histoire de Velleius Paterculus, ami de Tibère, est un panégyrique trop visible de ce même régime et du prince. D'autres, plus prudents, se tournent, comme Quinte Curce, vers le temps lointain d'Alexandre. Les ouvrages historiques de Pline l'Ancien sont perdus. De toute cette littérature ne subsiste que Tacite, qui, sous le règne de Trajan, écrivit d'abord ses Histoires, qui vont de la mort de Néron à Domitien, puis ses Annales qui vont de la mort d'Auguste à celle de Néron. Par son style, et par son pessimisme, Tacite se rattache à Salluste. Grand serviteur du régime en place, il attaqua violemment les règnes précédents.
Outre son œuvre historique, Pline l'Ancien poursuit la tradition encyclopédique de Caton et de Varron, avec son Histoire naturelle, véritable musée des connaissances et des croyances de ce temps. Quant à la philosophie, restée sans représentant depuis Cicéron, elle connaît un renouveau remarquable avec Sénèque. Formé au stoïcisme dès son adolescence, celui-ci témoigne du succès remporté à Rome par ces études et du rôle qu'elles jouèrent dans la vie politique : le vieil esprit civique est là aussi présent. Essentiellement axés sur la conquête de la sagesse et la vie intérieure, les Dialogues et les Consolations ainsi que les Lettres à Lucilius nous introduisent dans la vie intime des Romains de ce siècle. Certes, Sénèque évite l'anecdote, et ces ouvrages n'ont rien de commun avec la Correspondance de Cicéron, non plus qu'avec les Lettres de Pline le Jeune, mais nous y entendons pourtant les échos des grands événements qui se déroulent très haut à la surface d'une mer profonde.
Le contraste est vif, mais[...]
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Écrit par
- Pierre GRIMAL : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
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Médias