LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) Le théâtre
Évolution
Pendant trois siècles, le théâtre romain connut un développement considérable, mais ce succès fut relativement éphémère et il ne survécut guère au-delà de la fin du ier siècle avant J.-C. Aux raisons invoquées plus haut – rigidité des techniques qui n'intégraient que difficilement le texte à certains spectacles, caractère stéréotypé des personnages principaux – s'en ajoute une autre, plus essentielle : l'évolution des genres théâtraux, y compris et surtout la tragédie, vers le réalisme intégral. Dès le iie siècle avant J.-C., le magistrat qui préside aux représentations et assume lui-même une partie des frais, assure sa popularité par un déploiement de moyens fastueux qui détournent l'attention du spectateur vers la somptuosité du décor et des accessoires au détriment du thème et de ses résonances tragiques. On ne suggère pas, comme dans le théâtre grec, mais on cherche à représenter réellement les différents épisodes de l'action. L'architecture complexe et savante des théâtres romains se prêtait d'ailleurs fort bien à ces prouesses techniques : défilé de centaines de prisonniers, de mulets chargés de butin (six cents, au dire de Cicéron dans la tragédie Clytemnestre), présentation de milliers de trophées pris aux Troyens dans Le Cheval de Troie. Des « astuces » sonores et lumineuses – fontaines jaillissantes, bruitages – permettaient de suggérer les moindres détails de l'action. Mais ce réalisme va plus loin et dans un sens qui l'éloigne radicalement du théâtre : on va jusqu'à représenter réellement – et non plus de façon symbolique – les scènes les plus cruelles des œuvres tragiques : tortures, assassinats, viols. Des esclaves, des prisonniers ou des criminels condamnés à mort sont substitués au dernier moment à l'acteur et exécutés sur la scène. Les légendes héroïques ou divines sont ainsi représentées dans tout le sens du terme : le roi Penthée est écartelé par des femmes déguisées en Bacchantes, Hercule brûle sur son bûcher funèbre ! Cette tendance qui satisfaisait un certain goût du public pour le sang fit que le théâtre finit par se confondre avec les jeux cruels du cirque ou de l'amphithéâtre. L'essence du spectacle disparut dans le besoin forcené de cruauté, rendant caduque la tension proprement tragique du texte. Actualiser, rendre à ce point vraisemblables et réels les mythes ou les épisodes héroïques du passé finit par épuiser leur sens de symboles. Le théâtre devint un sacrifice profane, célébré devant les spectateurs, communiant dans un besoin de sang et de cruauté qui laissait loin derrière lui les exigences les plus forcenées du théâtre contemporain.
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Écrit par
- Jacques LACARRIÈRE : écrivain
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