LAURA, film de Otto Preminger
Les multiples figures du double
Construit autour de l'enquête policière et d'une recherche de vérité, ce film complexe va au-delà d'un policier classique. Otto Preminger décrypte des mécanismes plus intimes. L'histoire vécue par les quatre personnages principaux procède d'une série de révélations progressives. Laura entremêle différentes figures dans une mise en scène à la fois théâtrale et feutrée, tournant autour du portrait de l'héroïne exposé sur le lieu du crime. Cet art de la mise en scène donne une unité à l'œuvre dans un style élégant et raffiné où décors et costumes participent à la définition des personnages. Peu à peu, sous la trame d'un divertissement apparemment policier, ces derniers prennent de la densité. L'intrigue policière et la passion pour Laura exacerbent les rivalités, mettant ainsi en perspective l'itinéraire des trois principaux protagonistes masculins Waldo, Shelby et McPherson. Incarnée par Gene Tierney (1920-1991), l'héroïne de Shanghai Gesture (1941) de Josef von Sternberg, Laura est l'archétype de la femme fatale, idéale et inaccessible, point nodal au carrefour du rêve et de la réalité, de la mort et de la résurrection. Construit autour du thème de la présence-absence, le personnage de Laura éclaire magistralement la figure du double et de la duplicité. Le spectateur se trouve alors pris dans la mouvance des identités et des identifications incertaines autour d'une victime mystérieuse et d'un assassin. Le film dégage un sentiment insolite d'envoûtement. L'inspecteur tombe amoureux d'une morte pour peu à peu assister à sa résurrection. À partir d'une simple chronique de faits divers, Preminger propose une fine analyse de caractères. Une jeune femme d'origine modeste, promue à une certaine ascension sociale, rencontre deux figures masculines ambivalentes, celle d'un père spirituel possessif et jaloux (Waldo) et celle d'un fiancé puéril (Shelby). Puis surgit l'homme, le justicier, le policier intègre et l'amant susceptible de conquérir et la femme idéalisée par l'un et la compagne ordinaire qu'elle serait pour l'autre. Superbement agencé par le réalisateur, le regard croisé de ces trois hommes sur Laura semble finalement lui rendre une existence. Par son jeu constant entre passé et présent, Otto Preminger confère au dilemme de ses personnages une certaine transparence.
Selon ses dires, Otto Preminger avait été vivement impressionné par l'opéra Die Tote Stadt (La Ville morte), du compositeur américain Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), qui fut une source d'inspiration pour son film Laura. Le livret de cet opéra, écrit d'après le roman Bruges la Morte (1892) de Georges Rodenbach, relate la relation ambiguë qu'entretient un veuf inconsolable avec une femme, Marietta, qui ressemble physiquement à son épouse défunte, une représentation de l'absence plus proche de l'hallucination ou de la fantasmagorie que de la remémoration. Sous la forme de jeux d'ombres et de jeux de miroirs, Laura reprendra la difficulté du personnage central à discerner le réel de l'imaginaire.
Le film connaît un succès important à sa sortie aux États-Unis. Laura accède au statut de mythe, renouant avec Pygmalion où le sculpteur tombe amoureux de son œuvre. D'autres réalisateurs exploreront cette fascination pour un portrait ambigu de femme, prisonnière du désir masculin, tel David Lynch avec Twin Peaks (1991).
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
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